Géologie du cirque de Barrosa : résumé

  Le cirque de Barrosa présente deux singularités : sa muraille comporte deux étages différents par leur géologie, et il est traversé par les vestiges d'un ancien chemin muletier. Ces deux singularités sont étroitement liées.
  La formation des Pyrénées, qui s'est étalée sur plusieurs dizaines de millions d'années (Ma), mais est passée par un maximum autour de - 40 Ma, résulte de la collision de la micro-plaque ibérique, poussée vers le nord par la plaque Afrique, contre la vaste plaque eurasiatique, collision dont les effets ont remanié l'ancienne chaîne de montagne hercynienne érigée vers - 300 Ma mais réduite ensuite par l'érosion à l'état de pénéplaine. Comme les autres chaînes de montagne par collision continentale elle est le résultat d'un empilement par le bas d'écailles chevauchantes qui se sont successivement décollées le long de failles inverses quasi-horizontales de la croûte continentale ibérique, et se sont immobilisées contre la plaque eurasiatique tandis que le reste de la croûte continuait à progresser vers le nord au dessous de celle-ci, de telle sorte que chacune de ces écailles est charriée sur (ou chevauche) l'écaille sous-jacente (figure 1, et 4-2).

                   

  Figure 1 : schéma de la formation des montagnes par collision continentale.
 
  Les glaciers quaternaires, issus des hauts sommets ancêtres des pics Robiñera, La Munia et Troumouse, ont ensuite creusé la paroi du cirque de Barrosa dans l'épaisseur de cet empilement, à un niveau tel de celui-ci que la muraille en constitue une coupe méridienne à cheval sur deux unités chevauchantes (figures 2 et 3).

   

  Figure 2 : coupe situant le cirque de Barrosa dans l'épaisseur des unités chevauchantes (voir légende figure 3).

  L'unité chevauchante supérieure (qui constitue l'étage supérieur du cirque de Barrosa) est dite " nappe de charriage de Gavarnie ", parce qu'elle est bien visible, et a été décrite, surtout dans la vallée de Gavarnie. Ses limites latérales sont floues mais sa largeur est de l'ordre de la centaine de kms. Son charriage, ou chevauchement, du nord vers le sud sur l'unité inférieure, est de 10 à 15 kms (en fait c'est l'unité inférieure qui s'est déplacée sous elle : mais cela revient au même). Sa racine se situe en gros à hauteur de la vallée d'Aure actuelle. Son front se trouve dans la sierra d'Espierba et se repère plus à l'ouest à la hourquette d'Alans et au port de Boucharo, de part et d'autre de la vallée de Gavarnie. Au nord le plan de chevauchement est ascendant, par exemple dans la vallée de La Gela ; au sud il descend, par exemple dans la vallée de Chisagües ; mais il est à peu près horizontal entre les deux, dans le cirque de Barrosa, où il se situe entre 2300 et 2500 m. d'altitude.

  

  Figure 3 : coupes des falaises du cirque de Barrosa, et du port de Barroude.

  Dans le cirque de Barrosa cette nappe de charriage est constituée de trois couches, qui sont d'épaisseur variable et parfois discontinues, de terrains d'âge primaire qui appartenaient à l'ossature de la chaîne hercynienne. De haut en bas ce sont : une couche, marron, principalement de schistes (au sens large ; elle est faite aussi de grès et de quartzites, notamment dans le pic Robiñera), datée de la période dévonienne supérieure et moyenne ; une couche blanche, ou ocre, de calcaire ou de marbre, datée du Dévonien inférieur, dans laquelle l'érosion a taillé des falaises et des aiguilles (au nord, où elle est plus épaisse, elle constitue la formidable muraille de Barroude) ; enfin une couche noirâtre ou violet foncé, d'une variété de schistes appelée ampélites, datée de la période silurienne.

  Cette sombre couche d'ampélite, qui forme la semelle de la nappe de charriage et qui est bien présente dans le cirque de Barrosa (où elle est sans doute à l'origine du toponyme " Las Pardas "), mérite un commentaire particulier (figure 4). Cette variété de schistes se singularise par son contenu en matières organiques (qui lui donne sa couleur), donc en carbone, sous forme de particules de graphite. Or on sait que celui-ci est formé de l'empilement de couches mono-atomiques d'atomes de carbone fortement liés entre eux, mais qui sont, elles, faiblement liées entre elles (d'où la trace que laisse sur le papier une mine de graphite). Cela explique plusieurs faits : le fait que le décollement de la nappe se soit produit dans une telle couche peu compétente, et que la partie emportée par la nappe ait favorisé son glissement (comme le font le talc ou le gypse dont la structure est analogue) : on parle de " couche-savon ". Cela explique aussi le facile délitement de l'ampélite, donc les reliefs émoussés du port de Barroude, et la poussière d'ampélite tombée en certains endroits sur le chemin des mines, ainsi que la couleur noire des mains quand on les passe sur la roche.

                 

  Figure 4 : schémas expliquant le rôle de " couche-savon " de la couche d'ampélite. page 4

  L'étage inférieur du cirque, c'est-à-dire le " socle " (ou " autochtone ", par opposition à la nappe de charriage, l' " allochtone "), est constitué, lui, essentiellement de granite (dit " de Bielsa "). Il s'agit d'un vaste " pluton " (il forme aussi le soubassement du massif voisin de la punta Suelsa) qui s'est mis en place lors de la surrection de la chaîne de montagne hercynienne. Dans la partie nord du cirque on trouve cependant d'autres roches ayant appartenu à celle-ci : de la cornéenne, ancien schiste recuit au contact du granite encore en fusion ; et, dans une moindre mesure, des schistes datant de la période cambro-ordovicienne beaucoup plus abondants dans les vallées françaises plus au nord. Mais la surface du " socle ", juste au-dessous du plan de chevauchement, est aussi celle de l'ancienne pénéplaine à laquelle a été réduite, par érosion, la chaîne hercynienne. On trouve donc, en couverture de ces roches anciennes, des roches sédimentaires plus récentes : d'une part du grès rouge (sous forme de pélite, de grès à proprement parler, ou de conglomérat) issu, au Permien, de cette érosion et déposé par des fleuves dans des dépressions. Ces dépôts discontinus, plus ou moins épais, forment, de part et d'autre de la haute vallée du rio Barrosa, les hauteurs du pic Barrosa et de la partie sud du plateau de Liena ; d'autre part du calcaire qui s'est déposé beaucoup plus tard, au Crétacé supérieur (période où la pénéplaine post-hercynienne s'est trouvée immergée), sur une plate-forme sous marine de faible profondeur. Ce calcaire, blanc, raboté par le charriage, constitue pour le " socle " une couverture de faible épaisseur (en général quelques mètres), située juste au-dessous du plan de chevauchement, visible de loin dans le cirque sous la forme d'un fin liseré clair soulignant la base de la couche d'ampélite (figure 5).

  Au-dessus du plan de chevauchement, dans l'ampélite, et au-dessous, dans le calcaire crétacé, existent des signes de cisaillement de la roche liés au charriage.

   

  Figure 5 : la falaise nord du cirque, entre l'épaulement du pic de La Munia, en forme de dôme, à gauche, et le port de Barroude, à droite.

  Dans les falaises du cirque, au nord et au sud, la muraille de la nappe de charriage est le plus souvent légèrement en retrait par rapport à celle du " socle ", probablement du fait d'une moindre résistance à l'érosion de la nappe (figure 3). D'où l'existence d'une corniche naturelle dans ces falaises, grossièrement horizontale. Cette corniche a une largeur variable, de l'ordre du mètre. Son sol, au niveau du plan de chevauchement, donc à la base de la couche d'ampélite, est le plus souvent pavé par le calcaire crétacé blanc de la couverture du socle. Parfois cependant la corniche court à la limite supérieure du granite comme aux abords du col d'Espluca Ruego. Elle est, chose remarquable, de plain-pied avec le plateau de Liena (ou de Ruego) qui s'étale au sud-est du cirque. C'est normal puisque la surface du plateau est aussi la surface du socle, c'est-à-dire celle de l'ancienne pénéplaine post-hercynienne, mais au-dessus de laquelle l'érosion a fait disparaître la partie de la nappe de charriage qui la recouvrait, sauf un très petit résidu qui persiste au sommet du pic à Liena, au-dessus de la couche de calcaire crétacé, désolidarisé de la nappe (et qui constitue donc une " klippe ") (figure 6).

   C'est cette corniche vertigineuse qui a été mise à profit pour l'aménagement d'un chemin muletier à travers le cirque, moyennant l'élargissement à coups d'explosifs des passages les plus étroits, et la construction de murettes de soutènement, dont on voit encore les vestiges en un point de la falaise sud et dans les pentes modérées de la partie médiane du cirque. Souvent, dans les falaises mais aussi parfois dans ces pentes, il est pavé, donc, par le calcaire crétacé, quand il n'est pas recouvert par des débris rocheux ou quand son tracé ne traverse pas des éboulis. Parfois il descend au-dessous du plan de chevauchement, dans le granite, ou bien il a été sculpté dans le calcaire crétacé. Rarement il monte dans la couche d'ampélite, restant le plus souvent à sa base (sauf pour monter d'une centaine de mètres, en deux lacets, de la vire de la falaise nord au niveau du port de Barroude), ce qui permet d'ailleurs de repérer de loin son tracé quand on regarde la muraille du cirque.

      

   Figure 6 : dans la falaise sud du cirque, le chemin des mines, souligné par la neige, prolonge la ligne de la sierra de Liena au-delà du col d'Espluca Ruego.

   Audacieusement construit pour relier, à travers le cirque de Barrosa, sans grande perte d'altitude, les mines du pic Liena au versant français, ce chemin spectaculaire est donc aussi un chemin éminemment géologique. En dehors de la variété des roches qui l'environnent, ce qui fait son intérêt c'est que lorsqu'on le parcourt on a la semelle de ses chaussures, surtout dans les falaises, juste au niveau du plan de chevauchement de la nappe de charriage de Gavarnie. Ce qui met directement en présence du processus de formation des Pyrénées, et des montagnes par collision de continents en général, d'autant plus qu'on côtoie alors une roche particulière, l'ampélite, qui participe à ce processus en tant que " couche-savon " (et qui par sa couleur lui a d'ailleurs, sans doute, donné son nom : " camino de Las Pardas ").
  
   Le cirque de Barrosa fait entrer dans deux autres chapitres de la géologie :
   - la raison d'être de ce chemin est la présence, dans les flancs du pic Liena voisin, de mines de plomb argentifère (ou galène, c'est-à-dire du sulfure de plomb associé à des particules d'argent) et de fer. Les galeries ou les tranchées d'où on extrait le minerai ont été creusées sur une faille qui se situe, sur le plateau de Liena, à la limite du granite et du grès rouge. La minéralisation de ce minerai est probablement en relation avec des circulations hydrothermales à la périphérie du pluton de granite. Le chemin muletier a servi aux déplacements des hommes et du matériel entre ces mines et la France, et peut-être au transport du minerai à dos de mulets avant l'installation, en 1912, de câbles transporteurs aériens entre ces mines et la laverie de l'hôpital de Parzan, et entre celle-ci et la vallée d'Aure.

  - au fond du cirque, sur la rive gauche du rio Barrosa, qui, là, change de direction, les vastes pelouses où a été construite une cabane et où se déploient les lacets du chemin du port de Barroude, cachent une grande moraine laissée par la dernière période glaciaire quaternaire (à noter qu'il existait encore, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, à l'issue du petit âge glaciaire, un petit mais véritable glacier dans le versant est du pic Robiñera). L'existence de cette moraine se trahit en particulier par la présence de gros blocs erratiques de nature calcaire, dispersés dans ces pelouses en plein dans la domaine du granite, sans doute arrachés par le glacier à la couche de calcaire dévonien de la falaise nord. Mais aussi par des reliefs en forme de croissant, le long du torrent, dont on peut penser que celui-ci les a créés en érodant la base du tas de cailloux que constitue la moraine. Il existe au-dessus d'autres figures glaciaires : un verrou glaciaire supportant un replat herbeux avec une ébauche de lac glaciaire, et sur les pentes sud-ouest du pic Barrosa un épaulement lié aux glaciers plus anciens qui ont creusé le cirque.

  

 L'idée à retenir de la géologie du cirque de Barrosa est que sa paroi constitue une coupe méridienne quasi-verticale de l'empilement d' unités chevauchantes constitutif des Pyrénées, au niveau du plan de chevauchement de la nappe de Gavarnie sur l'unité chevauchante sous-jacente, niveau auquel se situe exactement un ancien chemin muletier dont le parcours à travers le cirque fait ainsi entrer dans l'intimité de la formation des Pyrénées, et d'autres montagnes, par collision de deux plaques tectoniques.