Chemin des mines
La
"Bolsa de Bielsa"
Il est difficile
de parler du cirque de Barrosa sans parler de la vallée de Bielsa,
et de Bielsa sans évoquer le fameux épisode de la guerre
d'Espagne connu sous le nom de "Bolsa de Bielsa", poche de résistance
héroïque opposée pendant prés de trois mois, au
printemps 1938, à l'avancée
franquiste, par les républicains espagnols adossés à
la frontière dans la haute vallée du rio Cinca. D'autant plus
qu'il a été marqué par l'exode d'environ 5000 civils
qui ont franchi, au début
du mois d'avril, dans la neige, le Port Vieux,
voisin du cirque de Barrosa, ou d'autres ports frontaliers, pour se réfugier
en France par la vallée de La Géla et la vallée d'Aure
: épisode dramatique qui ne peut laisser indifférents des montagnards.
En voici un court récit, associé à
une carte :
Quand, en mars 1938, les troupes nationalistes,
provoquant l'effondrement du front aragonais, prennent Barbastro et investissent
par le sud la partie est de l'Aragon et le nord-ouest de la Catalogne, l'armée
républicaine se replie vers le nord. Le 4 avril les villages de Broto et Torla
tombent, tandis que plus à l'est les républicains s'étaient
retirés du Val d'Aran entre le 28 mars et le 3 avril. Mais, adossée
à la frontière, l'armée répiblicaine va, dans la " bolsa " (poche)
de la haute vallée du rio Cinca, (carte ci-dessous), opposer
à l'avancée franquiste une héroïque résistance, acharnée et ingénieuse,
pendant prés de trois mois, jusqu'au 15 juin.
C'est la 43e Division (un timbre, ci-contre,
a été édité
à sa gloire) qui, isolée du reste de l'armée républicaine,
va défendre la " Bolsa de Bielsa ". Le 6 avril son commandement, établi
à Bielsa, est confié au
charismatique Antonio Beltran (" El Esquinazau " : le rusé,
ou le roublard) dont l'idée était d'installer des troupes dans
les vallées profondes de la région de Bielsa en attendant un
renfort venu de France lui permettant de lancer une contre-attaque décisive,
renfort qui ne vint jamais.
Beltran installera son quartier général à la Casa Bosar,
ancienne maison du directeur et des ingénieurs
des mines du pic Liena, encore debout aujourd'hui parmi les ruines des installations
minières de L'Hôpital de Parzan.
8000 combattants, militaires et miliciens, armés
de 4 canons vont faire face face à une armée franquiste de 15000 hommes, mieux
pourvue en armement lourd, et surtout appuyée par une aviation allemande et
italienne qui sème la terreur. Beltran attend une aide qui ne viendra jamais
en raison de la fermeture par le gouvernement Daladier de la frontière
le 15 avril.
Les républicains tiennent les hauteurs. On trouve
encore des vestiges de positions défensives au-dessus du port de Sahun, du
col de l'Ibon de Plan et du col de Las Coronas (ou de la Cruz). Depuis ces
positions, et même au sommet de la Peña Montañesa, des tirailleurs tentent
d'abattre les avions ennemis
(note 2).
Au début du mois d'avril de violentes attaques franquistes
sont énergiquement contenues sur une ligne de tranchées entre Puyarruego,
sur le rio Bellos, et Laspuna, à hauteur d'Escalona, sous la Peña Montañesa.
Jusqu"au mois de mai les franquistes sont arrêtés sur cette
ligne.
Parallèlement, entre le 3 et le 14 avril, est organisé
l'exode des civils vers la France : en une quinzaine de jours plus
de 5000 civils, réfugiés de la plaine ayant fui les combats, et
habitants des vallées du
Sobrarbe, laissant tout derrière eux,
encombrés de baluchons et de valises,
aidés de militaires et de volontaires locaux pour prendre en charge les enfants,
les vieillards (dont une femme de 103 ans), les malades et les blessés, vont,
courageusement, dans la neige abondante cette année-là, franchir, en une longue
file, la frontière au Port Vieux (2378 m), pour descendre dans la vallée
de La Géla et la vallée d'Aure (carte ci-dessous). D'autres passeront
par les ports de Bielsa et de Plan, ou même par le chemin des mines
et le port de Barroude (note 3).
. Jusqu'à 850 arrivages sont enregistrés le 8 avril à
Saint-Lary.
L'ancestrale solidarité montagnarde s'est
manifestée par un grand élan humanitaire de
la part des habitants des Hautes-Pyrénées, de Saint-Lary en
particulier, envers les républicains
aragonais, quelles que soient leur confession
et leurs opinions, impulsé par les militants de l'Union départementale
de la CGT des Hautes-Pyrénées. Il s'est traduit de multiples
façons : collectes de fonds, convois de mulets quotidiens pour apporter
vivres, médicaments, vêtements à la 43e Division et à
la population civile, fourniture
de traineaux et de mulets, brancardiers
volontaires (note 1), travaux
sur le chemin du Port Vieux en vue d'y faire passer du matériel militaire,
secours aux blessés, aide à leur transport lors de l'exode,
creusement de tranchées dans la neige pour aider
au passage des ports par les réfugiés. A leur arrivée
ans la vallée les gendarmes, également, aident les plus vulnérables
d'entre eux.
Les réfugiés, éprouvés par la
traversée (sans entraînement, mal équipés, chargés
de leurs maigres affaires), affamés, démunis de tout, sont chaleureusement
accueillis et nourris par la population de la vallée d'Aure parmi laquelle
des quêtes sont organisées. L'évèque de Tarbes
et Lourdes apporte son concours.
A partir de Fabian certains sont transportés en camion ou autobus juqu'à
la gare d'Arreau. D'autres logés
provisoirement dans des granges ou chez des parents installés depuis
longtemps en vallée d'Aure. Ils
doivent subir une vaccinaion contre la variole.
Une large majorité de ces réfugiés sera
ensuite dispersée dans d'autres départements, parfois lointains,
avant de rentrer chez eux par Irun pour trouver un village dévasté.
Au mois de mai des troupeaux de milliers de bêtes,
bovins, ovins, chevaux, mulets, franchissent le Port Vieux, le port d'Urdiceto
et sans doute le port de Plan
(photo ci-contre : des vaches à Tramezaygues).
En un lent défilé ils sont amenés, avec leurs sonnailles assourdissantes,
jusqu'à la gare d'Arreau. Ils seront ensuite rendus au gouvernement
républicain de Barcelone .
Le 14 mai les républicains, à Puyarruego, simulent
une retraite nocturne : des franquistes tombent dans le piège et se font
massacrer (note 5).
Les représailles seront terribles. Les bombardements s'intensifient
fin mai et début juin. Les villagse de Bielsa et de Parzan, heureusement
en grande partie abandonnés, ainsi que l'Hôpital de Parzan, sont bombardés
par l'aviation franquiste épaulée par des avions italiens,
et incendiés.
Les habitants de Saint-Lary voient la nuit au-dessus les crêtes
enneigées un énorme halo de lueurs rougeâtres. Dans la
vallée de Pineta l'aérodrome en construction et même le
sanatorium sont également bombardés (plus tard d'autres destructions
seront en partie liées, semble-t-il, à la politique de la terre
brulée mise en oeuvre par l'armée républicaine, soucieuse
de ne pas laisser du matériel militaire, ou des installations minières,
entre les mains des franquistes).
L'armée franquiste accentue sa pression. Début juin,
le port de Sahun et le col de Las Coronas (ou de la Cruz) sont investis et
les villages de Plan, San Juan de Plan et Gistain occupés le 11
juin. Ce jour-là est partiellement détruite la centrale
electrique de Lafortunada, enjeu des combats.
Le 13 juin les combats redoublent dans la vallée
et les républicains doivent reculer sur une ligne passant par Tella.
Les derniers blessés sont évacués en France.
Les 14 et 15 juin, sous d'intenses bombardements,
se produit le retrait échelonné du front républicain.
Les troupes républicaines doivent se replier (note
4) vers les ports
frontaliers (notamment le port de Barroude via le chemin des mines, le Port
Vieux, celui de Bielsa, et ceux donnant accès à l'hospice de
Rioumajou) pour passer en France, où ils
seront désarmés, certains dès leur arrivée à
Tramezaygues. A 4 heures du matin, le 16 juin 1938 le dernier soldat républicain
traverse la frontière.
La plupart des combattants (6889 sur 7300) choisiront (à
la suite d'un vote organisé par les autorités françaises)
de rentrer en Espagne par Cerbère pour reprendre la lutte dans ce qui reste
de l'armée républicaine, qui tient encore la Catalogne, et participer un peu
plus tard à la bataille de l'Ebre.
(cliquer
ici pour écouter dans le site Dailymotion
la chanson "El paso del Ebro", si elle y est encore, chantée
par le groupe Zebda de Toulouse)
NB : pour en savoir plus,
- une visite s'impose au musée ethnologique
de Bielsa : cliquer
ici pour ouvrir une page, riche
en photos, consacrée au village de Bielsa, y compris à la Bolsa
de Bielsa, et donnant des informations sur ce musée
;
- consulter,
pour son texte (en espagnol) et ses photos, le beau livre "La
Bolsa de Bielsa" (image ci-contre),
édité en 2005 par la Diputacion de Huesca et le musée
de Bielsa, dont l'auteur est Antonio Gascon Ricao ;
-
autre livre à lire, celui de Frédéric Sabourin, "Franchir
les Pyrénées. Sur les chemins de la liberté",
éditions Ouest-France, 2011, notamment le chapitre La Bolsa de
Bielsa et la vallée d'Aure, pp. 29-45 ;
- on
peut aussi consulter le n° 2 de la revue Pyrénées
histoire paru en décembre
2008, consacré à "La
guerre civile espagnole et les Pyrénées" ;
- et
dans wikipedia les articles Bolsa
de Bielsa (en espagnol) et Bataille
de la poche de Bielsa (en français)
;
- lire aussi le livre publié en août
2018, par le grand écrivain espagnol Javier Cercas, chez Actes
Sud, "Le monarque des ombres"
(voir la couverture
en cliquant ici). L'auteur, hanté par
la guerre d'Espagne, sympathisant de gauche, y fait le récit de son
enquête longue et minutieuse, afin d'en connaître ses motivations,
sur son grand-oncle maternel, jeune phalangiste idéaliste, mort au
combat dans les rangs franquistes
à 19 ans, à la bataille
de l'Ebre, en septembre 1938, pour une mauvaise cause mais en héros
pour sa famille,
Dans le chapitre 12 de ce livre, de la page 225 à la page
232, Javier Cercas raconte la fin de la Bolsa de Bielsa, en juin 1938,
sous la poussée de l'armée franquiste à laquelle participe
l'unité de tirailleurs du jeune phalangiste. A partir de Castejon de
Sos celle-ci monte au port de Sahun (1905
m.; voir la note 2 , et la photo
qui lui est associée) pour ensuite
descendre à Plan dans la vallée du rio Cinqueta et,
par Salinas, arriver à une dizaine de km de
Bielsa, puis, le lendemain
entrer dans le village incendié.
VOIR AUSSI,
dans le présent site, la page consacrée aux évadés
de France
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NOTES :
1. Joseph Aussat, est venu prêter assistance à ses camarades bigourdans de la CGT pour convoyer les blessés. A de multiples reprises il a, à skis, guidé la descente dans la neige de bléssés allongés sur un traîneau (voir la page de photos consacrée à cet exode). Professeur de mathématiques-physique à Pau, montagnard chevronné, photographe, Joseph Aussat, doté d'une forte personnalité, résistant lors de le Seconde Guerre mondiale, a été par la suite, au refuge de l'Abérouat au-dessus de Lescun, le pilier de l'"Oeuvre de montagne" dont le but était, sous l'égide de la Fédération des Oeuvres Laïques des Basses-Pyrénées, de mettre la montagne à la portée des enfants des classes populaires. Dans ce centre d'éducation il a eu pour compagnon le très actif Henri Barrio, instituteur dans la vallée d'Aspe, guide de montagne (auteur avec Bellocq, en 1933, de la première ascension de la Pique Longue, au Vignemale), résistant arrêté puis évadé, avec lequel (et J. Loustaunau) il avait, en 1927, réalisé la deuxième ascension du couloir de Gaube.
2. La PHOTO
ci-contre, prise vers l'est, montre les vestiges d'une casemate installée,
vers 2100 m. d'altitude,
sur un éperon du massif du Cotiella qui s'avance au-dessus du collado
de las Coronas (ou de la Cruz, 1725 m). Ce col, franchi par une piste, est
visible dans une large clairière claire un peu à gauche du centre
de la photo. La ligne de front passait par cet éperon, par ce col,
et par le port de Sahun qu'on voit en haut et à gauche à l'extrémité
nord de la sierra de Chia.
"[...] même l'aviation [...] ne pouvait opèrer
facilement, dans ces montagnes et sous le feu de nos mitrailleuses, car nous
avions fabriqué des pieds métalliques pour improviser des mitrailleuses
antiaériennes. Installées en haut des pics , elles menaient
la vie dure aux Capronis et aux Heinkels. Les servants des ces mitrailleuses,
pour mieux manoeuvrer leurs machines, se trouvaient à découvert,
subissanr le feu, tantôt des avions, tantôt des canons"
(Mariano Constante, Les années rouges, de Guernica à Mauthausen,
Mercure de France, 1971, p. 82)
Aux abords du col on trouve encore des traces de tranchées,
de trous d'obus, et, dans la terre, des débris métalliques.
A noter, un peu au-dessus et à droite du col, une autre
clairière lumineuse : celle où on trouve, à côté
d'une cabane récente, les ruines de l'ancienne cabane où Russell
et son équipe ont été attaqués par des brigands
le 11 juillet 1870 (voir une page du site du club de montagne "Les
Cadets de Toulouse", note 1).
3.
Le 18 avril on comptabilise à
St-Lary 488 réfugiés, dont une femme de 103 ans.
4.
Le 15 juin quelques combattants (des bataillons 519 et 520 de la 130e
brigade mixte) ont reussi à se replier d'une manière originale,
racontée par Mariano Constante dans l'ouvrage cité dans la note
3, p. 97) : "dix-huit kilomètres [en fait quatorze]
à pied dans le tunnel du canal qui [prenant l'eau à la retenue
de la vallée de Pineta] alimentait la centrale de Lafortunada. Bien
que l'eau eût été coupée, il y en avait au moins
quatre-vingts centimètres mais [ces] hommes avaient été
sauvés, ainsi que le matériel, dans l'obscurité totale.".
Dans une conférence donnée en 2011 au Museo
Pirenaico de la Electricidad de Lafortunada (dont le texte, actualisé,
et traduit par Gérard Raynaud, esr
reproduit dans la n° 10des
"Feuilles du pin à crochets", p.91) Ramon Lasaosa et Miguel
Ortega disent "qu'on fit en sorte de diminuer le débit des
tunnels dans la chute du Cinca, ce qui permit à quelques militaires
républicains de la Poche de passer de Lafortunada à Pineta,
comme le capitaine Mallé, bien qu'il eût de l'eau glaciale jusqu'à
la poitrine".
5. Le 15 mai Juan Négrin, le chef du gouvernement de la république, et Vicente Rojo, le chef d'état-major de l'armée républicaine, sont venus depuis la France visiter les hommes de la 43e division : voir une page consacrée aux installations minières de l'Hôpital de Parzan.
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le 10
mai 2023