Géologie
Les anciens glaciers du cirque de Barrosa
Il
existe dans le cirque de Barrosa et en aval dans la haute vallée du
rio Barrosa, en particulier aux abords de la cabane de Barrosa, les traces
laissées par les anciens glaciers
qui ont sculpté le cirque de Barrosa à l'ère Quaternaire
(entre - 1,8 millions d'années [Ma] et le présent)
Le
montage ci-dessous et une page de photos montrent les principales d'entre
elles (note 1) :
< PHOTO
du haut : elle montre au premier plan deux des gros rochers anguleux
qui parsèment la pelouse sur laquelle se situe la cabane de Barrosa.
Au fond : à gauche, le "dôme"
(granitique), au-dessous du pic de La Munia (schisteux) ; à droite,
l'étage supérieur de la falaise nord du cirque sous le pic de
Troumouse; et le port de Barroude.
Ces blocs rocheux sont des blocs de calcaire,
ce qui est étonnant puisqu'on est là, au-dessous du plan de
chevauchement de la nappe de charriage, en plein dans le domaine granitique
du "socle".
C'est que ces blocs de calcaire sont en fait des blocs
erratiques, à la surface de la moraine laissée par
l'ancien glacier quaternaire qui a creusé (peut-être vers 20000
à 15000 ans "Before Présent" [BP]) la partie nord
du cirque ("Barroseta"), et a transporté ces blocs. Ils proviennent
sans doute de l'érosion de la couche de calcaire dévonien clair
qu'on voit dans la falaise nord, à mi-hauteur (l'érosion glaciaire
a pu débiter le calcaire en gros blocs, mais les schistes en petits
débris, masqués actuellement par la pelouse qui recouvre la
moraine). Il y a aussi quelques blocs granitiques plus petits et moins anguleux,
qui proviennent sans doute du "dôme".
Aux abords de la cabane on se trouve donc à la surface
de cette moraine.
< PHOTO intermédiaire : vue, depuis la paroi
du cirque, sur la moraine et ses blocs erratiques parsemant
la pelouse dans l'anse du torrent.
On y voit la cabane (le point blanc au-dessous du rocher isolé proche
du torrent), et les lacets du sentier du port de Barroude.
Noter à gauche le relief arciforme au bord
du torrent (il y en a deux autres au-dessus). Il trahit lui aussi la présence
d'une moraine : l'érosion par le torrent ne peut expliquer un tel relief
que si elle s'exerce sur un tas de cailloux (et il semble bien s'agir ici
d'une moraine et non d'un éboulis).
En aval, la vallée du rio Barrosa a une forme en
"auge", ou en "U", imprimée par l'épaisse
langue glaciaire issue du grand glacier quaternaire qui a sculpté l'ensemble
du cirque.
< PHOTO du bas, à droite : on y voit
le verrou glaciaire (dominé par la falaise nord), au-dessus
duquel on trouve le replat herbeux et son laquet. L'ensemble est un autre
témoin de la présence, dans le passé, d'un glacier, responsable,
notamment, par surcreusement, du laquet (on parle d'"ombilic lacustre").
La même géomorphologie glaciaire (verrou, ombilic lacustre, se
retrouve symétriquement, mais plus marquée, du côté
français du port de Barroude : voir la page
qui lui est consacrée).
En bas, à gauche, la CARTE représente
les deux derniers glaciers du cirque de Barrosa,
tels qu'on peut les imaginer, le dernier ayant été celui du
versant est du pic Robiñera (dont le chaos rocheux du flanc sud
du dôme représente sans doute la moraine).
*
Il
y a dans le cirque de Barrosa comme
ailleurs, des traces
des 3 dernières PERIODES GLACIAIRES suivantes
(note 1) :
- la grande glaciation de la
période glaciaire dite Würm, entre 115000 (avec une période
de transition entre 115000 et 75000) et 10000 ans "Before Présent"
(BP), pendant laquelle d'énormes glaciers, dans les vallées
de Barrosa (ainsi modelée en auge dans sa partie haute), de Pineta
et de Gistain, ont conflué (vers -60000 à -40000 ans) pour former
une langue glaciaire qui descendait jusqu'à Lafortunada
;
- la fin de cette période,
où, aprés un maximum glaciaire vers -60000 ans (dans
les Pyrénées ; ailleurs il se produit plus tard : -20000 ans
; il s'est accompagné d'une baisse du niveau des océans de 120
m. par rapport au niveau actuel), ces grands glaciers, se retirent et cessent
de confluer. Ce retrait a laissé dans la vallée du rio Barrosa
d'autres gros blocs erratiques, notamment un, énorme, entre l'hôpital
de Parzan et Bielsa (photo ci-dessous). Dans le cirque de Barrosa ce
retrait aboutit à une courte langue glaciaire, dans la partie nord
du cirque, responsable de la moraine (qui date donc de cette époque
: probablement 17000 à 15000 ans BP) sur laquelle se situe la cabane
de Barrosa. Moraine parsemée de blocs erratiques, dont deux juste au-dessus
de cette cabane. Le fait que cette moraine ait été colonisée
et entièrement recouverte par une pelouse, ainsi que sa faible altitude
(autour de 1750 m.), témoignent de sa relative ancienneté.
Cette
photo a été prise par le pyrénéiste Emile Belloc (voir
la page consacrée à F. Schrader
et aux pionniers du pyrénéisme).
Elle illustre (p. 27) son livre "De
la vallée d'Aure à Gavarnie par le Nord de l'Espagne"
, édité en 1902.
Dans le récit de cette excursion il écrit (p. 26) : "Parmi
les innombrables rochers qu'il fallait contourner [dans la vallée
de Bielsa], un d'eux -- représenté sur la gravure ci-contre
-- nous frappa tout particulièrement. C'était une tranche colossale
de granite transportée par les anciens glaciers. Pour juger de ses
extraordinaires dimensions, pour un bloc erratique, il suffit de comparer
le personnage qui se trouve à côté du bloc, M. F., dont
la taille mesurait 1 mètre 91 centimètres de hauteur"
(voir aussi la page
consacrée aux photos de Jean Bepmale)
-
le "Petit âge glaciaire", du début du XIVe
siècle au milieu du XIXe (plus précisément de 1300
[selon Emmanuel Le Roy Ladurie, 1550 selon d'autres] à 1850 ou
1860), avec persistance d'une grande variabilité de la température,
d'une année, ou d'une décennie, à l'autre : il y
a eu des hivers doux et des étés caniculaires pendant cette
période. Il a été lié, au moins en partie, à une baisse de l'activité solaire. La température moyenne, pendant cette période, est passée par un premier minimum, dit "de Maunder", entre 1645 et 1715, en gros pendant le siècle de Louis XIV où le soleil, paradoxalement, a moins brillé que d'habitude !. Deuxième période très froide : entre 1812 et 1817, surtout en 1815 (l'"année sans été") à la suite de l'énorme éruption volcanique du mont Tambora, en Indonésie, le 5 avril 1815. Au XIXe siècle il existait encore, dans la selle neigeuse du versant est du pic Robiñera, un petit mais véritable glacier, avec de grosses crevasses, qui a progressivement disparu pendant la fin du XIXe siècle le XXe. (voir ci-dessous, et la note 4 ; voir aussi, dans la page consacrée à l'histoire du port de Plan, le passage où il est question de la mine de cobalt de la vallée de Gistain, et la note 7). |
|
En
effet, sur le VERSANT EST DU PIC ROBINERA,
existait encore, au tournant des XIXe et XXe siècle, un véritable
glacier là ou actuellement on ne voit qu'un simple névé
dans la selle neigeuse par où passe l'itinéraire 6 (voir
le pic Robiñera
par le cirque, et la page
de photos consacrée à ce pic). Sur un dessin (ci-contre, dans Pyrénées, t.II, p.186 ; voir aussi un autre dessin de Schrader) de ce sommet (dont l'autre nom est "Las Louseras"), réalisé par Franz Schrader en août 1875, ou 1877, depuis le sommet de La Munia, figure en effet ce qui semble être un véritable glacier, avec une rimaye et des crevasses. Schrader explique que l'existence de ce glacier est favorisée par la situation de ce petit cirque glaciaire dans un versant est, donc sous les vents d'ouest dominants, où la neige tend à s'accumuler. Par ailleurs Henry Russell décrit ainsi ce qu'il voit le 13 août 1878 du sommet du pic Robiñera (dans Souvenirs d'un montagnard, éditions PyréMonde-PRNG, 2008, collection de poche en 2 volumes, p. 278 du tome I) : "A l'Est, au fond d'un gouffre, se déroulait un beau glacier, à crevasses larges et parallèles. D'affreuses ténèbres régnaient dedans" (note 2). |
Ces
PHOTOS montrent l'évolution en un siècle :
A gauche, détail d'un assemblage, réalisé
par Jean Bepmale, de deux de ses photos du cirque de Barrosa où figure
le pic Robiñera, prises en 1911 ou 1912, à la fin de l'été.
Au-dessous de la neige (zone d'accumulation des glaciologues) on voit une
zone grise qui correspond vraisemblablement à de la glace (zone
d'ablation) (voir aussi une des photos
de Lucien Briet prise le 30 juillet 1897).
A droite, photo récente, prise le 26 août
2007, ne montrant au même endroit qu'un peu de neige (note 3).
Le véritable glacier qui existait là vers 1875,
et encore sans doute vers 1910, a donc complètement disparu.
*
D'ailleurs il existait
aussi, sur le PLATEAU DE BARROUDE,
au pied du pic de Troumouse, encore au XIXe siècle, un véritable
glacier, crevassé, donc actif, mobile.
Jusque vers 1850, c'est-à-dire jusqu'à
la fin du "Petit âge glaciaire", ce glacier est resté
relativement important, et stable (en volume), ce qui lui a permis de former
pendant cette période l'importante et belle moraine au-dessus de laquelle
n'existe actuellement qu'un simple névé .
Photo prise par Jean Bepmale vers l'année 1910. | Photo prise le 18 juillet 2003 du sommet du pic de La Géla : la moraine contraste avec le simple névé qui est au-dessus. | Extrait d'un panorama pris par Mariano du sommet du pic de La Gela le 6 septembre 2012 (pour voir ce panorama : note 5). | Photo
prise en fin de la saison d'été, aux premières neiges. Vu son importance la moraine ne peut qu'avoir été formée par un glacier qui n'existe pratiquement plus. |
Le guide
Joanne, dans sa 3e édition, en 1877, signale qu'"un glacier
trés crevassé descend du pic de Troumouse."
D'ailleurs, dans un chapitre de Souvenirs
d'un montagnard , Russell, décrivant la région de
Barroude, écrit (page 229 de
l'édition originale, ou 223 de l'édition Slatkine , 1979)
: "Au sud, un glacier bleu et crevassé, monte au
pic de Trumouse (3,o86 m.)".
Le 30 juillet 1897 Lucien Briet remarque
: "Au bas de ce glacier [au sens de névé] qui éblouissait,
une tache grisâtre accusait des préliminaures de mise à
nu".
En 2001 le névé ne recouvre plus qu'un
simple glacier résiduel, inactif, dont la surface (estimée
par Pierre René) n'était plus que de 5 ha.
Vue
rapprochée de cet ancien glacier. Cette photo a été prise
le 20 septembre 2008 (les parties grisâtres ne correspondent pas à
de la glace, mais à de fins débris rocheux).
(son auteur est Mariano
; elle fait partie d'une série de photos illustrant dans son site de
topos, http://www.topopyrenees.com, la page [cliquer
ici] consacrée à un circuit à partir de la vallée
de La Géla passant par le pic Barrosa et le pic de Port Vieux ;
l'auteur du présent
site le remercie pour lui avoir permis d'y insérer cette photo).
(VOIR AUSSI :
- la page de photos consacrée au port
de Barroude où il est également question de ce glacier,
dans la note 2 ;
- et une des pages du site de Thierry Feuillet sur la géomorphologie
des Pyrénées ).
*
Ces
deux glaciers, celui du pic Robiñera et celui de Barroude (qui
d'ailleurs se ressemblent), ont donc été victimes de la régression
glaciaire (malgré quelques petites avancées, dont une en1907-1911)
qui affecte tous les glaciers des Pyrénées depuis 1850, année
marquant la fin du "petit âge glaciaire" qui avait
commencé en 1550.
La surface totale des glaciers pyrénéens était
de 5 km2 en 2000, contre 40-45 en 1870. En gros la diminution des glaciers
pyrénéens a été de 85% depuis 1850. La courbe
de cette régression laisse prévoir, si on l'extrapole, une disparition
complète des glaciers pyrénéens vers 2050.
D'ailleurs on constate une diminution du nombre de jours
d'enneigement par an : de 10 à 15 jours entre 1971 et 2008 en moyenne
montagne (à 1400 m), corrélativement au réchauffement
climatique : la température a augmenté de 1,1° dans le massif
des Pyrénées depuis
1900 et les scientifiques ont calculé qu'un réchauffement de
2° (hypothèse basse, l'hypothèse haute étant de 6°)
entrainerait une diminution de 30 à 49 jours par an de la période
annuelle d'enneigement, à 1500 m.
(VOIR AUSSI un article
de La République des Pyrénées.fr daté du 3 mars
2011)
NOTES :
1.
La fin
de la dernière glaciation quaternaire (dite "Würm")
est précisée dans le schéma ci-dessous (le "tardi
glaciaire" est la période de transition, hésitante, entre
la glaciation de Würm et le début de la période actuelle
qui a commencé 10000 ans BP).
Si vous voulez tout savoir sur les glaciers et les paysages
glaciaires en général, consultez le magnifique site :
http://www.paysagesglaciaires.net
Pour en savoir plus sur les glaciers des Pyrénées,
consultez :
. les sites
http://geopyrenees.free.fr
, sur la géomorphologie des Pyrénées
;
http://www.moraine.fr.st
, qui est le site de l'association Moraine (Association pyrénéenne
de glaciologie), à laquelle collabore Pierre René, acompagnateur
en montagne et glaciologue) ;
http://www.randonneepyrenees.com/2_photo/glaciers.html,
qui est une page participative du site de Yoann où il collecte des
photos anciennes et actuelles permettant de mesurer la régression des
glaciers des Pyrénées
.
les articles de Pierre René parus dans :
-
la Revue Pyrénéenne, n° 119, octobre 2007 : Les
glaciers des Pyrénées françaises - présentation
et variations récentes, p. 21 à 25 (dans ce même numéro
on peut aussi lire, p. 18 à 20, un article de Yves Ferrère :
L'agonie du glacier de Las Néous) ;
-
le livre Pyrénées d'Hier et d'Aujourd'hui, Pau, 20-21 septembre
2008, sous la direction de J. Canérot, J.-P. Colin, J.-P. Platel,
M. Bilotte, éditions Atlantica (recueil des communications à
un colloque à l'université de Pau et des pays de l'Adour), sous
le titre : Les glaciers actuels des Pyrénées, p. 163
à 176.
(de Pierre René
voir aussi dans ce site deux photos prises par lui d'hélicoptère,
l'une du pic Barrosa,
l'autre du pic Liena et du cirque
)
2.
Le site Gallica 2 de la Bibliothèque nationale de France
a reproduit l'édition originale (1878) de "Souvenirs d'un montagnard"
, d'Henry Russell : en
cliquant ici on peut y lire ce même chapitre, intitulé "Las
Louseras (3075 mètres)" (pages 324 à 326), qui contient
ce passage (à la page 325) (pour en savoir plus sur les différentes
éditions de ce livre célèbre voir la note 1 de la page
consacrée à F. Schrader
et aux pionniers du pyrénéisme).
3. Une
autre photo du pic Robiñera
(ci-contre),
a été prise par un pyrénéiste (Joan Llosas)
le 31 août 2008, année où l'enneigement a été
tardif mais particulièrement abondant en altitude (le névé
est au centre de la photo).
4. Inversement
il y a eu dans la passé plusieurs périodes de réchauffement
climatique : autour de l'an 1000 (entre
800 et 1300 environ : c'est l'"optimum
climatique médiéval", qui a contribué à l'essor
de l'Europe à cette époque), autour de l'an 0 (période
romaine), et il y a environ 6000 ans (pour en savoir plus sur le Petit
âge glaciaire, consulter des pages d'un site
axé sur les glaciers du Mont-Blanc).
5. Pour
accéder à ce panorama (où, dans sa partie initiale on
voit le cirque de Barroude) dans le site de Mariano, ouvrir la
page (qui contient aussi de nombreuses et belles photos) :
http://www.topopyrenees.com/randonnee-pic-de-la-gela-2851m-en-boucle-par-les-cretes/ et
cliquer au-dessous de la deuxième photo sur le petit projecteur
jaune.
Page mise à jour le 21
septembre 2022.