SOMMAIRE
: 1- La longue histoire du chemin du port de Plan 2- Les échanges entre vallée d'Aure et haut Aragon 3- Les lies et passeries |
"A
l'époque [XIIe siècle], les Pyrénées, loin
de constituer une barrière infranchissable, sont au contraire un lieu
de passage et de contacts. C'est à partir du XIXe seulement, avec le
chemin de fer et l'automobile, que la chaîne paraîtra se dresser
comme un obstacle aux communications. Au Moyen Age, les choses étaient
plus aisées ; il suffit de penser à ces gens de Montaillou,
dans les Pyrénées ariégeoises, qu'a étudié
Le Roy Ladurie : ils semblent aller plus facilement en Catalogne et en Andorre
qu'à Toulouse. Du Pays basque au Roussillon, les populations ne tiennent
aucun compte des frontières telles que nous les entendons aujourd'hui
; hommes et troupeaux passent sans cesse d'un versant à l'autre."
(note 20)
(Joseph Pérez, Histoire de l'Espagne, Fayard,
1996, p. 74)
"Les Pyrénées
séparent et relient la France et l'Espagne."
(Henri
Lefebvre, Pyrénées, éditions Cairn, 2000, p. 29)
( VOIR AUSSI la
page consacrée à la description
du port du Plan )
(vous pouvez consulter cette
page en écoutant "l'hymne du Sobrarbe" ; "Pais
perdido", de la Ronda de Boltaña[MP3,
4 Mb, 4 mn] : pour cela cliquer
ici (on en trouvera les paroles, en espagnol, dans le
site du Sobrarbe
: dans la rubrique Comarca, en haut et à gauche de la page d'accueil,
cliquer sur "Himno de Sobrarbe")
1-
LA LONGUE HISTOIRE DU CHEMIN DU PORT DE PLAN
Jusqu'au milieu du XXe siècle et la construction
des routes transfrontalières, le port de Plan a été, de tous les ports
des Pyrénées centrales, le plus connu et le plus emprunté
par les hommes pour traverser à pied, ou à dos de mulet, la chaîne
frontière.
Carte
figurant dans la brochure de l'historien Paul Labrouche La grand'route
centrale des Pyrénées. Le port de la Ténarèse,
Imprimerie nationale, 1897,p.9. >
Le chemin du port de Plan a été probablement tracé, déjà,
à une époque pré-romaine, par les Ibères (métissés de
Celtes), dont le territoire débordait sur le versant nord des Pyrénées.
Selon
la tradition les Romains seraient les constructeurs d'une "voie romaine",
dont parle César, et qui prendra plus tard le nom de "Ténarèse"
(note 1).
Il est possible qu'elle ait été la grande voie suivie par
les lieutenants de César (Crassus
en particulier) pendant la période
de conquête de l'Aquitaine entre 56 et 51 av. J.-C..
Partant
de Bordeaux et traversant le nord des Landes selon les uns, ou de la vallée
de la Garonne, selon les autres, entre Aiguillon et Port-Sainte-Marie (où
elle prolongeait la grande voie celtique venant du centre de la Gaule), la
Ténarèse traversait la Gascogne, le plus souvent sur
les hauteurs entre les bassins de l'Adour et de la Garonne, puis le plateau
de Lannmezan, et abordait la vallée d'Aure entre Capvern et La Barthe de Neste.
Dans la vallée d'Aure elle était prolongée
par un chemin important sans qu'on puisse, faute de preuves, affirmer qu'il
s'agissait là aussi d'une voie romaine à proprement parler,
et lui garder le nom de Ténarèse. Ce chemin remontait la vallée,
où son tracé est souvent confondu avec celui de l'actuelle route nationale,
sur la rive gauche de la Neste d'Aure, jusqu'à Tramezaygues.
A Tramezaygues,
dont le nom signifie confluent des eaux, et dont le chateau a été
le siège d'une garnison qui avait son pendant à Aïnsa,
on a de bonnes raisons de penser qu'il s'engageait vers le sud dans la vallée
de Rioumajou et passait par le port de Plan pour descendre en Espagne
dans la vallée de Gistain, et gagner Aïnsa, puis la vallée
de L'Ebre.
(voir
une carte
de la Ténarèse, de Bordeaux, ou de la Garonne, à
Aïnsa [note
3])
Le chemin de port de Plan ne fait pas
partie des grandes voies romaines qui traversaient
les Pyrénées, figurant sur des documents comme la table
de Peutinguer ou l'Itinéraire d'Antonin. Ces voies (voir la carte
ci-dessous), par où passaient de lourds convois d'une province
à une autre limitrophe, sont au nombre de trois : à l'est le
col de Panissars (juste à
l'ouest du col du Perthus), à l'ouest
le col du Somport (ou le col de Pau
(note 21)
un peu plus à l'ouest), et les ports de Cize au-dessus du col de Roncevaux
(note 23).
Cependant le port de Plan a toujours été
le port frontalier le plus fréquenté des Pyrénées
centrales. D'autre part les Romains étaient bien implantés
dans la vallée d'Aure, proche de la cité gallo-romaine de
Lugdunum Convenarum (St-Bertrand de Comminges ; du latin con-venit,
rassembler), foyer du "Pays des Convènes" (la cité
aurait été fondée en 72 av. J.-C. par Pompée qui
y rassembla des débris de l'armée de Sertorius qu'il venait
de vaincre en Espagne). Ce pays, qui regroupe populations locales, colons
romains, anciens soldats romains à qui ont été attribuées
des terres, devient au IIe siècle après J. C. une importante
et très prospère colonie romaine.
De cette romanisation témoignent des autels votifs
et des monuments funéraires (images ci-dessous) trouvés
dans plusieurs villages de la vallée, y compris à Tramezaïgues,
ainsi que l'exploitation de mines de fer dans les Baronnies (sur la crête
de Sarramer à l'ouest de Rebouc), et des carrières de marbre.
Des pièces de monnaie romaines ont également été
trouvées dans la vallée (ainsi qu'au port de plan : voir
ci-dessous). De plus la toponymie évoque le souvenir de grands
domaines ayant appartenu à des Romains : le suffixe -an (anum),
fréquent dans les lieux de passage, abonde dans la vallée d'Aure
(Grézian, Sailhan, Cadeilhan, Estensan, etc.), alors que le suffixe
celtique -akos, latinisé -acum, fréquent ailleurs
en Aquitaine, y est rare (Cadéac, Pailhac).
Vestiges gallo-romains qu'on
peut voir dans la vallée d'Aure : à gauche une plaque funéraire
(45x43cm) remployée dans le fronton du portail
de l'église de Guchen (traduction de l'inscription : AUX
MANES DE MODESTUS, FILS DE FESTUS, FESTA, SON AFFRANCHIE ET SES FILS, SES
HERITIERS) ;
au milieu un autel votif réemployé (couché) dans un angle
du mur de l'église de Vignec ; à droite une stèle visible
dans le cimetière de Guchan (pour en savoir plus sur cette stèle
et son intéressante symbolique voir une page du blog de Michel
Bessone).
Il n'y a pas de
preuves archéologiques en amont de Tramezaïgues et sur le versant
espagnol du port de Plan permettant de dire qu'il s'agit à proprement
parler d'une "voie romaine", mais on
peut penser que le chemin du port de Plan a quand même été
utilisé, donc probablement restauré et consolidé,
par les Romains, peut-être dès le début de
leur implantation dans la péninsule ibérique (en 218 av. J.-C.),
au moins en tant que voie secondaire, pour des relations à courte distance
ou le passage de convois légers, ou de troupeaux, pour traverser la
crête frontière, comme il l'était par des personnes étrangères
aux Pyrénées pour passer d'un pays limitrophe à l'autre,
et surtout par les populations de la vallée d'Aure dans le cadre de
leurs échanges immémoriaux (voir ci-dessous) avec ceux
du bassin du rio Cinca (note
22). D'autant plus qu'il n'existe pas d'autres passages
faciles, pour traverser les Pyrénées, entre le col de Panissars
à l'est et le col de Somport à l'ouest (mis à part le
port de La Bonaïgue dans le
val d'Aran, et le col de La Perche en Cerdagne),
et que le port de Plan, relativement peu enneigé l'hiver, se situe
sur l'axe Toulouse-Saragosse. En
particulier des troupes romaines ont pu le franchir afin de soumettre les
populations remuantes de la péninsule ibérique,
notamment lors de l'épisode historique du général Sertorius,
dans les années 70 avant J.-C (note
2), puis lors de la conquête
de l'Aquitaine par les troupes de César entre 56 et 51 av. J.-C., et
au début du règne d'Auguste à la fin du 1er siècle
av. J.-C.
Au début des années
2010 de nombreuses pièces de monnaie ont été trouvées
dans le sol du port de Plan, au nombre de 202 (plus une autre trouvée
au port d'Ourdiceto). Elles ont été expertisées par L.
Callegarin et A. Campo de l'Université de Pau et des pays de l'Adour.
La période de leur création va du IIe siècle avant J.-C.
pour la plus ancienne (gauloise), à 1937 pour la plus récente
(République espagnole) : période romaine impériale pour
la plupart (144, donc près de 3/4), période moderne pour les
autres (monarchies française [8], de François Ier à Louis
XIV, et espagnole [18], de Philippe III à Philippe IV).
Ces pièces de monnaie illustrent l'utilisation très
régulière du port de Plan comme lieu de passage privilégié
aux époques antiques (Empire romain surtout) et modernes entre les
deux vallées, y compris par des convois militaires. Mais ce port a
pu aussi constituer un lieu cultuel ou un sanctuaire d'altitude où
les voyageurs faisaient des offrandes à une divinité
au moment de franchir le col.
VOIR le site de Jean
Prugent qui contient, dans la partie "Vallée de Rioumajou",
des pages consacrées à une étude très minutieuse
et complète sur ce "patrimoine numéraire", étude
basée sur les travaux de l'université de Pau, avec l'aide des
archives de la municipalité de Saint-Lary. Cliquer
ici pour ouvrir la page "Vallée de
Rioumajou", puis sur la mention "son patrimoine numéraire".
> Ci-contre,
photos de 2 des pièces faisant partie de ce lot :
- en haut, une pièce datant du
règne de Hadrien, empereur
romain de 117 à 138 :
avers à gauche, avec son buste et la mention [H] ADRIANVS-AVGVSTVS,
revers à droite, représentant Salus alimentant un serpent, sa
main gauche tenant un sceptre, avec la mention SALUS AVGUSTI S-C/COS III ;
- en bas, la pièce de 50
centimos datant de la République espagnole en 1937 (donc époque
de la guerre d'Espagne). >
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de page
Ce
chemin a été très fréquenté au long des siècles (des documents l'attestent
dès le XIIe siècle) par toutes sortes de personnes. Des Arabes,
venus s'implanter ou faire des incursions en vallée d'Aure, jusqu'en
1012. Des religieux de plus en plus nombreux à mesure des avancées de la Reconquista
: moines clunisiens puis cisterciens assurant les relations entre les
abbayes du sud de la France et leurs filiales créées en Espagne ; prêtres
séculiers allant y fonder des diocèses ; pélerins se rendant à St-Jacques
de Compostelle, ou (lors de "romerias") à d'autres sanctuaires du
nord de l'Espagne, tels Montserrat ou Montgarri. Des ouvriers : mineurs,
forgeurs, charbonniers. Des troupes lors des guerres entre les royaumes, notamment
en 1709, pendant la guerre de Succession d'Espagne. Des Miquelets, ces militaires
espagnols irréguliers partisans de l'Archiduc et opposés aux Bourbons
lors de cette guerre, passant la frontière pour effectuer des razzias dans
la vallée d'Aure (vol de chevaux à l'hospice de Rioumajou en
1708, pillage du village d' Aragnouet en 1710). Des bandits (des "bandouliers",
bandits de grand chemin, style Robin des bois).
Mais le chemin a été
aussi emprunté de tout temps par beaucoup de bergers, par des marchands,
des colporteurs, des trafiquants, des saltimbanques, des chasseurs d'isards,
D'autre part un puissant courant migratoire s'était instauré
en direction de l'Espagne où de jeunes pyrénéens allaient
chercher du travail, principalement agricole, ou fuir le service militaire,
ou exercer certians métiers (en particulier celui de forgeur).
Emprunté également par des contrebandiers,
la contrebande ayant été dans les villages proches de la frontière,
notamment lorsque les franchises traditionnelles étaient suspendues,
surtout au XIXe siècle, une activité habituelle, apportant un
indispensable complément aux revenus agricoles (note
4).
< Ci-contre,
surcharges d'une carte ancienne de Trutat (1894),
indiquant les cols franchis le plus facilement dans le passé pour traverser
les Pyrénées (les tirets verts figurent l'itinéraire
suivi en 1688 par Robinson Crusoé entre la région de Pampelune
et Toulouse [note 6]).
Durant tout l'Ancien
Régime et une grande partie du XIXe siècle,
il a été fréquenté, surtout, par
les habitants de la vallée d'Aure et des sept villages de la vallée
du rio Cinqueta (vallée de Gistain, ou Christau) pour passer
sur l'autre versant. Plus que les deux autres
ports importants, le port de Bielsa et le Port Vieux, qui font communiquer,
plus à l'ouest, la vallée d'Aure et la vallée de Barrosa. Sa fréquentation
devait être du même ordre que celle du port de Boucharo entre
la "vallée de Barèges" (la haute vallée du
gave de Pau, "pays Toy" actuel), et la vallée de Broto, c'est-à-dire
du rio Ara. Hommes ou femmes ont passé le port, par tous les
temps, même en hiver, pour aller, chargés de ballots (jusqu'à
35 kg), ou menant des bêtes de somme (les mulets surtout, capables de
porter des charges de 120 à 150 kg, deux fois plus que les ânes),
en longues caravanes, vendre leur maigre production agricole ou leurs marchandises
de l'autre côté du port, aux marchés et foires qui s'y tenaient périodiquement,
ou s'y approvisionner, ou y mener leurs troupeaux (voir la section
2, Les échanges).
Par exemple des aragonais se rendant aux foires d'Arreau, de nombreux
ouvriers agricoles aurois (3000 en 1804), saisonniers, allant cueillir ou
presser les olives ou faire les foins en Espagne, travaux agricoles bien payés,
des déserteurs échappant à la conscription en France (notamment sous l'Empire),
des espagnols allant se placer en France, des Aurois allant travailler dans
les mines du versant espagnol, comme celles du pic Liena (note
5). Ou encore, simplement, des personnes allant rencontrer
de l'autre côté du port des parents (des familles ont encore
aujourd'hui des représentants des deux côtés de la crête
frontière), des correspondants de la famille (encore aujourd'hui des
familles ont des membres des deux côtés de la frontière),
ou des amis. Ou des jeunes allant danser aux bals des villages de l'autre
versant, sans craindre les longues heures de marche.
Extraits de deux cartes
datant du XVII siècle, et d'une carte du XIXème siècle
:
- à gauche, carte
datant de 1650, où on voit figuré le "Port du Plan"
au bout de la vallée de Rioumajou. Manque la vallée de Saux.
entre celle-ci et la vallée de l'"Atgella", au bout de laquelle
sont situés plusieurs ports (Aure, Albe et Agella) difficiles à
identifier ;
- au milieu, carte qui est la plus ancienne (1696) des
cartes françaises des Pyrénées, dressée par Sanson,
intitulée : "Les Monts Pyrénées, où sont
remarqués Les Passages de France en Espagne.". On y voit
figuré le passage d'un chemin entre Gistain et Tramesaïgues, dans
le "Val d'Aure", par un col dénommé "Port d'Albe",
mais qui ne peut être, ici, que le port de Plan. Le passage voisin qu'on
trouve plus à l'ouest , est le "Port de Brousse" entre Héas
et Bielsa : sans doute le port de La Canau, ou le port Vieux de la vallée
d'Estaubé.
- à droite, carte illustrant le guide Joanne de 1883, indiquant un itinéraire pour aller de Lannemezan à Barbastro, passant par le port de Plan, le village de Plan, puis par la vallée de l'Esera (donc nécessairement par le port de Sahun pour aller de Plan à cette vallée , peut-être pour éviter les défilés des vallées du rio Cinqueta et du rio Cinca).
Haut
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Dans le roman publié par Daniel Defoe en 1719, Robinson
Crusoe et Vendredi, revenant de Lisbonne pour rentrer en Angleterre par
l'Espagne et la France (dans la deuxième partie du livre), traversent
les Pyrénées. C'est par le port de Plan que l'auteur les fait
passer, en décembre, dans la neige, avant d'affronter à la descente,
dans la vallée d'Aure, deux ou trois ours et une multitude de loups
affamés (note
6).
Au XVIIIe siècle c'est également
le port de Plan que Malesherbes, homme politique féru de géologie,
a franchi le 23 juillet 1867 pour se rendre, venant de Luchon, à San
Juan de Plan dans l'espoir (déçu) de visiter les mines de cobalt
(note
7)."Je n'ay
point vu de plus mauvais chemin " dit-il dans le récit qu'il
a fait de ce voyage en Aragon.
Autre personnage historique, le général
Prim, figure de proue de l'opposition à Isabelle II, doit, en novembre
1867, aprés avoir fomenté plusieurs prononciamentos manqués,
fuir l'Espagne par le port de Plan, avant, l'année suivante, de chasser
la reine du trône par un coup d'état organisé avec le
général Serrano (note
8).
Au XXe siècle, le chemin du port de Plan, sera, en concurrence
avec le Port Vieux (quoique moins que lui), emprunté, pendant la guerre
d'Espagne, au mois d'avril 1938, par de nombreux civils républicains espagnols
fuyant la " Bolsa de Bielsa ", poche de résistance farouche opposée
par la 43e division de l'armée républicaine espagnole à l'avancée
franquiste en Aragon (voir la page
qui lui est consacrée). Pour la même raison de grands troupeaux
ont aussi, alors, franchi le port. Au mois de juin 1938, ce sont les rescapés
de la 43e division qui se sont repliés en France en partie par le port
de Plan, et l'hospice de Rioumajou qui a servi d'hôpital pour les bléssés.
A l'occasion de ces exodes s'est manifestée la solidarité ancestrale
entre les habitants de la vallée d'Aure et ceux des vallées
espagnoles.
Cette solidarité, dans l'esprit des anciennes "lies
et passeries" (voir plus loin, section 3),
a joué également en faveur des évadés qui
pendant la guerre 39-45 ont traversé les Pyrénées
en sens inverse pour échapper au Service du Travail Obligatoire, aux
persécutions nazies, ou rejoindre la Résistance. Beaucoup d'entre eux
(environ 2000), aidés par des passeurs, et par les habitants de la
montagne pour tromper la vigilance allemande, sont passés par la vallée
d'Aure, et principalement par le port de Plan, avec la complicité des
tenanciers de l'hospice de Rioumajou (note
9).
Extraits d'autres cartes anciennes, des XVIIIe et XIXe siècles,
où figurent le port de Plan et son chemin :
- en
haut, cartes (où le
sud est en haut)
* de Roussel à
gauche (où le port
de Plan est proche du centre de l'image, et où l'"Hopital d'Arragon"
est l'hôpital de Gistain ; voir une page consacrée à cette
carte),
* et de Ramond à
droite ;
- en bas,
* cartes de Cassini à
gauche,
* et d'Etat-major à
droite.
2- LES ECHANGES COMMERCIAUX ENTRE VALLEE D'AURE ET HAUT ARAGON PAR LE PORT DE PLAN
Par ce chemin étaient transportées
dans les deux sens toutes sortes de denrées et des productions agricoles
provenant des vallées et des basses régions extérieures
aux Pyrénées. Au début du XVIIe siècle les Pyrénées
(donc très probablement le port de Plan) ont même servi de relais
au grand commerce international entre l'Europe de nord et la péninsule
ibérique. Y passaient en particulier beaucoup d'animaux (plusieurs
centaines de milliers), le commerce des bestiaux suppléant
pour les habitants de la vallée d'Aure à la faiblesse de la
production agricole..
Dans le sens de la vallée d'Aure vers l'Aragon c'étaient
des produits laitiers (beurre, fromage), des salaisons, des grains
(surtout du blé), des poissons, du cuir, des objets artisanaux
(par exemple de grands chaudrons, des récipients de verre, des parapluies
de bergers, des sonnailles, des appareils à carder, des clous, des
peignes, etc..), des draps (tissés dans les vallées
d'Aure et de Campan avec de la laine importée d'Aragon), des vêtements
(chemises, robes, bas, voiles noirs de Bagnères, tricots), des objets
religieux, prisés au Moyen Age (chapelets, reliques, etc..). De longues
files de mulets passaient le port, venant du Poitou ou du Rouergue,
pour être vendus en Aragon, mais aussi des ânes, des chevaux,
des moutons ou des chèvres, parfois des porcs.
De l'Aragon vers la vallée d'Aure les bêtes
de somme ou les hommes transportaient surtout de l'huile d'olive, du
sel, des fruits (note
19), des balles de laine (la laine des mérinos
était au Moyen Age en Espagne un des principaux articles d'exportation,
et d'ailleurs de contrebande, dans les Pyrénées), du vin
dans des outres en peau de chèvre, parfois du blé, des peaux
de brebis, du savon, du chocolat, du tabac (en fraude), des allumettes. Par
exemple des marchands de Aïnsa venaient par le port de Plan échanger
en vallée d'Aure et jusqu'à Toulouse de la laine contre des
draps
Les bergers espagnols, à date fixe et en vertu
d'accord ancestraux, conduisaient, par le port, de longs troupeaux
de bovins (les grandes "ramades" aragonaises), pour leur faire paître
les grasses prairies du versant nord. En sens inverse des troupeaux de moutons
passaient le port pour aller hiverner en Aragon
Il y avait donc d'importants échanges commerciaux
entre les deux versants par le port de Plan. D'ailleurs sur les cartes le
nom "Plagne du Marcadau", qu'on trouve sous le pic d'Espade,
à l'ouest du plateau, devrait figurer en fait, selon le berger de l'hospice
de Rioumajou, sous le port de Plan. Des deux côtés du port, des
douaniers inspectaient les chargements prés de l'hospice pour
lutter contre la contrebande (note
4)
Cette
photo, destinée à faire la publicité de ses cartes postales,
a été légendée par le photographe A. Villatte,
de Tarbes, en 1903 : "Bergers espagnols à la douane du Rioumajous".
C'est
par le port de Plan qu'était évacué, à dos de
mulets, pour être transporté dans la vallée d'Aure, le
minerai de cobalt, matière première servant à
fabriquer l'azur, colorant trés apprécié alors, utilisé
notamment dans les célèbres faïenceries de Delft pour le
décor en camaïeu bleu (le" bleu de Delft"). Ce minerai
était extrait dans la vallée de Gistain au-dessus de San Juan
de Plan (plus précisément à 1750 m. d'altitude dans le
vallon du barranco affluent de la rive gauche du rio Cinqueta qui descend
de l'ibon de Sein), essentiellement dans la première moitié
du XVIIIe siècle et au XIXe siècle. De la vallée d'Aure
il était transporté à St-Mamet, près de Luchon
(où il était transformé dans une usine en bleu de cobalt)
puis à Toulouse où il était embarqué sur le canal
du midi à destination de l'Allemagne ou des Pays-bas)(note
7).
Lorsqu'il a été question de creuser le tunnel
de La Pez on a projeté de faire passer par le port de Plan les hommes
et l'outillage nécessaires à ces travaux. D'ailleurs vers 1783
on rêvait d'établir une route par le port de Plan.
Au moins une partie du chemin du port de Plan a servi également
à l'exploitation des forêts espagnoles pour les besoins de
la mature de la marine française, au XVIIIe siècle, les
ressources en bois, surexploitées en vallée d'Aure (ce qui d'ailleurs
y aggravait l'érosion des pentes), s'étant avérées
insuffisantes du côté français et n'étant pas mises
à profit du côté espagnol. Les troncs de sapins abattus
dans la haute vallée du rio Cinqueta étaient tirés sur
des chars par des boeufs peut-être jusqu'au port de Plan, en tout cas
jusqu'aux ports de Madère (d'où son nom) et de Caouarère,
d'où on les faisait dévaler jusqu'au chemin du port de Plan,
pour les acheminer à St-Lary, où commençait leur flottage
sur la Neste vers Toulouse et Bordeaux (note
10).
Passages et échanges par le port de Plan, intenses
aux XVIIe et XVIIIe siècle, ont diminué progressivement à
partir du milieu du XIXe pour cesser vers le milieu du XXe, lors de la construction
des routes transfrontalières.
3-
LES LIES ET PASSERIES (note
25)
("Les montagnes unissaient
les hommes bien plus qu'elles ne les séparaient" Henri
Cavaillès)
L'énumération des échanges
entre vallée d'Aure et haut Aragon montre que les deux versants étaient
complémentaires. Complémentarité
liée à la différence du climat, chaud et sec sur le versant
sud, où les maigres pâturages se libèrent des neiges tôt
au printemps, froid et humide sur le versant nord
(note 11),
où les pâturages, plus riches, peuvent être ouverts au
bétail plus tard dans la saison.
L'intérêt bien compris des populations
pastorales des deux versants, qui par ailleurs sont parentes par leur origine
(en témoignent leurs groupes sanguins), leur culture (note
17) et leur langue (le gascon et l'aragonais se ressemblent),
était donc d'exploiter en commun les faibles ressources de la montagne,
de façon à assurer aux habitants, par ces échanges, une
survie de toutes façons précaire, si possible dans un climat
de paix, et de façon permanente.
Etait en particulier importante, pour cette civilisation
agro-pastorale, l'organisation d'une jouissance commune, si possible pacifique,
des pâturages. Comme dans la "vallée de Barèges"
(haute vallée du Gave de Pau, pays Toy actuel), mais à un moindre
degré, et les autres vallées françaises, les pâturages
de la vallée d'Aure étaient loués par les communes propriétaires
aux espagnols, qui, notamment par le port de Plan, y menaient paître
leurs troupeaux pendant l'été et l'automne. En sens inverse
des Aurois louaient aux espagnols des pâturages en Aragon pour l'hivernage
de leurs moutons.
Mais ce partage n'était pas toujours idyllique.
Les occasions étaient nombreuses de conflits (comme celui pour la montagne
d'Ossoue entre vallée de Barèges et habitants de Broto) qui
pouvaient aller jusqu'à des rixes sanglantes. Pour les prévenir,
éviter leur extension, en apaiser les conséquences, et ainsi
garantir la liberté et la sécurité des échanges,
s'est donc fait sentir, en particulier à partir du XIe siècle,
mais sans doute depuis un temps immémorial, la nécessité
de régler en commun les relations pastorales et commerciales.
Or depuis le Haut Moyen Age les habitants de la vallée
de la vallée d'Aure, comme ceux de la vallée de Barèges,
ou ceux d'autres vallées du versant français, surtout dans la
partie ouest des Pyrénées, jouissaient, du fait d'une situation
marginale, de leur pauvreté et de leur intégration tardive,
et parfois difficile, au domaine royal, d'une autonomie relative par rapport
au pouvoir central, qui la leur accordait pour avoir la paix, leur demandant
seulement d'assurer l'intégrité de la frontière, l'entretien
des chemins, et leur imposant quelques tarifs douaniers, par exemple pour
les armes et les chevaux. De plus le pouvoir féodal était lui
aussi relativement léger, les droits féodaux étant peu
onéreux.
Côté espagnol, les habitants de la haute vallée
du rio Cinca et de la vallée du rio Cinqueta, jouissaient également
d'une certaine autonomie, d'autant plus que ces vallées sont, elles,
plus ou moins enclavées, des défilés comme celui de Las
Devotas ou de La Inclusa entravant les communications avec la vallée
de l'Ebre (note
12).
< Photo ancienne du village
de Tramezaïgues (entre les eaux), perché sur un verrou glaciaire
au confluent des vallées du Rioumajou et de la Neste d'Aure. Dans un
château édifié au XIe siècle était installée
une petite garnison chargée de surveiller la frontière, seule
contrainte imposée par l'autorité royale aux habitants des vallées
(au sujet de ce château, en voir des images dans une page
de photos consacrée à la
Ténarèse dans la vallée d'Aure).
Les habitants des vallées avaient ainsi la liberté
de circuler et de commercer sans payer de tarifs douaniers (sauf pour les
armes et les chevaux), et le privilège de passer des accords entre
vallées d'un même versant ou surtout des deux versants (privilège
dont ils jouissaient depuis au moins 1300, mais qui sera reconnu à
plusieurs reprises par le pouvoir royal entre le XIIe et le XVe siècle,
confirmé notamment par Louis XI en 1475
[note 13]
).
Or les habitants des vallées françaises,
en particulier les bergers, étaient plus tournés vers l'Aragon
que vers les plaines du nord, et la notion actuelle de "frontière"
n'avait pour eux guère de signification. Leurs habitudes n'ont pas
été modifiées par le traité des Pyrénées
(1659) qui établissait les Pyrénées comme division des
deux royaumes (d'ailleurs la ligne frontière n'a été
définie avec précision qu'entre 1853 et 1868 par les travaux
d'abornement d'une commission mixte).
Jalouses de cette liberté les populations des
deux versants, solidaires, se sont donc donné, entre le XIe et le XIVe
siècles, en vue de favoriser le pastoralisme et le commerce,
et mettre fin à des conflits incessants entre vallées frontalières,
un ensemble de règles communes, réunies et précisées
dans une sorte de charte, qu'on jurait solennellement d'observer, applicable
des deux côtés de la frontière, appelé "lies
et passeries", expression qui peut être traduite par "alliances
et pactes" (note
14) (on les appelle aussi "faceries",
côté français, et "pacerias" ou "facerias"
côté espagnol).
D'abord orales, ces règles ont été,
dès le Moyen Age, mais surtout à partir du début du XVIe
siècle, écrites en présence de notaires, lors d'assemblées
solennelles réunissant de façon démocratique les représentants
des habitants des vallées aragonaises et françaises. Le premier
traité écrit qu'on connaisse, passé entre Bielsa et la
vallée de Barèges, date de 1384 (note
18). Ces lies et passeries ont été reconnues
par un traité entre Louis XII et l'Espagne en 1512, reconnaissance
qui sera ensuite renouvelée par les rois de France, de François
1er à Louis XIV (note
15).
En 1513-1514 un pacte était signé lors
d'une importante assemblée au Plan d'Arem (en amont de Fos)
entre la vallée d'Aure et les vallées de Gistain et de Bielsa,
confédérées à d'autres vallées voisines
du même versant. Il en a été de même ailleurs dans
les Pyrénées, plus à l'ouest entre les vallées
de Barèges et Broto (dès 1390), et entre Aragon et Navarre,
plus à l'est entre Vicdessos et val Ferrera. En 1597 une paceria
est signée de nouveau entre la vallée d'Aure et celles de Bielsa,
Puertolas et Chistau, malgré l'accentuation à cette époque
de l'absolutisme royal (Philippe II remet alors en question l'indépendance
de l'Aragon en donnant la mort à son magistrat suprème Juan
de Lanuza).
Par ces lies et passeries les habitants des vallées
s'engageaient, dans un esprit de solidarité entre montagnrds des deux
versants :
- à mettre en commun
certains biens indivis : pâturages, bois ;
- à ne pas commettre d'agression ou d'actes de brigandages,
touchant en particulier les bergers et le bétail (leur principale richesse),
de façon à désamorcer toute menace de conflit
;
- à se tenir à l'écart des guerres
entre les royaumes, en toute neutralité (ce fut le cas notamment pendant
la guerre de succesion d'Espagne au début du XVIIIe siècle),
afin que la permanence des échanges commerciaux, indispensables à
leur survie, soit assurée. Pour cela les habitants d'un versant devaient
avertir ceux de l'autre versant des mouvements de troupes. Des clauses étaient
destinées à repousser les attaques d'irréguliers (des
Miquelets, en particulier) ;
- à se porter secours mutuellement, ce qu'ils
firent à plusieurs reprises (note
24) ;
- à répondre réciproquement
des vols commis, des transgressions des limites de pacage, à livrer
les coupables de méfaits aux juges compétents du lieu de leur
crime, et à réparer les dégats. Ceci en vue, notamment,
de la protection des bergers et de la sauvegarde des troupeaux ;
- à préserver la liberté de
circulation des hommes, des marchandises et du bétail, exemptant
en particulier de droits de passage les ports de Plan et de Bielsa (sauf pour
les armes et les chevaux).
Des assemblées se tiendront par la suite tous
les ans, aux XVIe et XVIIe siècles, pour renouveler ou
réactiver les serments d'entente, mettre à jour, si nécessaire,
les lies et passeries, et règler les litiges en cours en prescrivant,
sinon des sanctions, du moins des réparations pour les dommages causés.
Plusieurs fois c'est même au port de Plan que cette réunion
annuelle eut lieu, notamment le 18 juin 1543 (en pleine guerre entre Charles
Quint et François 1er), le 19 août 1598, et à la fin du
mois d'août 1708 (pendant la Guerre de succession), ce qui confirme
le rôle detrait-d'union entre les deux versants que jouait le port de
Plan (de même des représentants
des vallées de Bielsa et de Barèges, qui en 1648 avaient créé
une autorité juridique commune, se sont rencontrés,
au cours du XVIIe siècle, alternativement au sanctuaire d'Héas
et à l'ermitage de la vallée de Pineta).
Trois photos d'aragonais
dans leur costume traditionnel ; de gauche à droite :
- aragonais
de San Juan de Plan, en 1914 (photo extraite du site espagnol : http://usuarios.lycos.es
, à la page : Gistain) ,
- José
Montaner Barcés, alcade de Bielsa en 1875 (photo figurant sur des panneaux
consacrés au massif du Cotiella, au musée de Morillo de Tou
en 2009) ,
- aragonais photographié au lac d'Orédon par
Eugène Trutat (détail d'une photo figurant dans le livre Eugène
Trutat, savant et photographe, éditions
du Muséum de Toulouse) (note
16) >
En 1718, à la suite
de la guerre de succession d'Espagne, une telle assemblée est réunie
pour se prémunir contre les attaques des Miquelets (militaires
irréguliers partisans des Habsbourg, opposés aux Bourbons) qui
passaient le port de Plan.
Mais par la suite, du fait de l'absolutisme
croissant des monarchies et de leur centralisation, aggravée par la
Révolution puis l'Empire, l'autonomie des populations valléennes
du versant français, comme sur le versant espagnol, ira en régressant,
et ces accords perdront de leur portée au XVIIIe siècle, puis
tomberont en désuétude au XIXe (devenant de simples accords
pastoraux), non sans, d'ailleurs, laisser des traces.
Sans exclure complètement de nombreuses querelles
(voire des batailles rangées, parfois meurtrières, entre bergers
français et bergers espagnols, notamment lors d'empiétements
de limites par les troupeaux), les lies et passeries ont toutefois, pendant
plusieurs siècles, donné liberté et sécurité
aux passages et échanges entre vallées des deux versants, conformément
à leur but qui était la "conservation de la paix, la
concorde, l'amitié et le commerce". Ainsi les
vallées
limitrophes des deux versants ont formé, du fait
de leur relative autonomie, de la multiplicité des échanges
et des déplacements, et des accords passés entre elles, une
sorte de confédération à
cheval sur la frontière, ou même une sorte d'Etat,
mais sans capitale, ni gouvernement, ni armée, ni police, associant
l'ensemble des communautés villageoises de
ces vallées.
Pour apprécier l'importance des lies et passeries
il faut avoir présente à l'esprit, outre cette relative autonomie,
la complémentarité
climatique des deux versants,
donc celle des productions agricoles, laquelle commandait, pour améliorer
le sort des habitants des vallées, des échanges permanents
impliquant des accords réciproquement respectés. Il y a ainsi
un lien entre la géographie physique et ces lies et passeries historiques.
Ainsi le chemin du port de Plan, ancienne et importante voie de traversée des Pyrénées centrales, a été aussi jusqu'au XIXe siècle, sous la protection de "lies et passeries" librement décidées par les habitants, un lien qui a uni ceux de la vallée d'Aure et ceux de la vallée de Chistau, pour une exploitation en commun des ressources agro-pastorales complémentaires des deux versants de la montagne, dans un relatif climat de sécurité, de paix et de solidarité. |
(Les
hommes qui venaient de franchir le port de Plan pour passer d'un versant à
l'autre trouvaient gîte, couvert et réconfort dans l'hospice
de Rioumajou côté français et dans l'hôpital
de Gistain côté espagnol. Au sujet de ces anciens "refuges"
au pied des ports pyrénéens, voir aussi dans ce site des pages
où il est question des deux hôpitaux situés à
la convergence des sentiers franchissant le port de Bielsa, le Port Vieux
et le port de Barroude :
- l'Hôpital
de Parzan ;
- l'Hôpital
de Chaubère, dont il ne reste que la chapelle
dite "des Templiers", côté français (voir notamment
la note 6).
(VOIR AUSSI :
o
dans le site :
*
une page où est faite la description
du chemin du port du Plan ;
* et
les pages de photos suivantes :
13-1
- Le chemin du port de Plan
sur le versant français
13-2
- Le port de Plan lui
même
13-3
- Le chemin du port de Plan
sur le versant espagnol
13-4
- Panoramas et environs du
port de Plan
13-5
- La Ténarèse entre la
Garonne et la vallée d'Aure
(avec
un lien pour une page sur
la voie romaine de l'Aubrac
dans
l'Aveyron
(13-8)
13-6
- La Ténarèse en
vallée d'Aure
13-7
- Le pic Batoua
o
au sujet de l'histoire de la vallée d'Aure ;
* les sites web
suivants (entre autres) :
-
http://www.randonnee-passion.com
(en musique)
-
http://pagesperso-orange.fr/le.moudang
(n° 17 dans la liste des liens)
-
http://moulindelamousquere.pagesperso-orange.fr
(n° 18 dans la liste des liens) ;
*
le livre de
Raymond RATIO : "Histoire
Franco-espagnole et Rioumajou-Cinca",
éditions Cairn, 2013 ;
* le livre
de Jacques BRAU : "Pays
des Nestes et de Comminges des origines à nos jours",
éditions Monhélios, 2014.
o au
sujet des liens entre entre vallées françaises et espagnoles,
une belle video, de
Emmanuel Rondeau, sur la transhumance, dans la région de Gavarnie,
entre la vallée de Broto et la vallée d'Ossoue, par le col
de La Bernatoire : cette vidéo est accessible dans le site
du Parc Nationl en recherchant
"la bernatoire" (ou en allant dans Média et en cherchant,
dans la longue longue liste des vidéos, "la bernatoire")
; durée = 16 mn 34
Page
Port de Plan Haut
de page
Page d'accueil
3.
Carte
dessinée d'aprés celles
établies par François Bonnenfant dans son site
: http://www.francoisbonnenfant.fr/tenareze/route.htm (voir aussi le site
: www.gasconha.com/debat/article.php3?id_article=30 ).
A la fin du XVIIIe siècle le baron d'Etigny
avait entrepris de creuser un tunnel transfrontalier entre la vallée
d'Aure et la vallée de Gistain sous le port de La Pez, trés
voisin, à l'est, du port de Plan, au fond de la vallée du Louron,
et Napoléon 1er a formé le projet de faire passer par le port
de Plan une route militaire de Toulouse à Saragosse. (retour
au texte)
4.
La contrebande
était dans les villages frontaliers quelque chose d'habituel.
Il en est question dans le site Recurut (https://recurut.eu/fr/itineraires/port-vieux/contexte-historique.html)
: "Déjà au XIXème siècle, la route à travers la frontière franco-espagnole
par le Port-Vieux qui [...]a été suivie par des milliers de réfugiés et de
soldats républicains fuyant les troupes franquistes en 1938, a aussi été utilisée
par les contrebandiers, de bétail et de produits de consommation principalement.
Développant leur activité entre la France et la Vallée de Bielsa, ils sont
aussi connus sous le nom de "paqueteros" (paquete = paquet, colis). Non seulement
dans la vallée de Bielsa mais sur l'ensemble de la chaîne pyrénéenne, les
contrebandiers sont, pendant des décennies, à l'origine du maintien du commerce
aux marges des lois économiques dictées par les autorités espagnoles et françaises
par des chemins qu'ils ont eux-mêmes tracés. Ces routes servent, entre 1939
et 1945, à dissimuler le passage de marchandises par la frontière, mais permettent
aussi la sortie d'Europe à ceux qui fuient les persécutions nazies ou qui
souhaitent rejoindre Londres ou l'Afrique du Nord dans le but d'intégrer la
lutte contre l'occupant et ses alliés".
Relativement bien payée la contrebande apportait un
complément aux revenus de la ferme, améliorant ainsi la condition
des villageois, et a même été à certaines époques le principal
outil de survie économique des montagnards.
Dans les récits des premiers pyrénéistes
on trouve des rencontres avec des contrebandiers : le 9 août 1797 B.
de Mirbel et Jules Pasquier
viennent au secours d'un contrebandier tombé dans une crevasse sous
la brèche de Roland ; le 12 Ramond et son équipe aident un contrebandier
espagnol, qui se rend à Fanlo, à remonter le couloir de Tuquerouye
; le 12 août 1807 le botaniste de Candolle trouve au port de Pinède
"une demi-douzaine de contrebandiers beaucoup moins génés
par les douaniers que par les honnêtes gens".
Octave Penguilly L'Haridon,
Les contrebandiers,
lithographie, vers 1850 (image extraite de la revue
Les feuilles du pin à crochets,
n° 7, p. 4, et reproduite avec l'aimable autorisation des éditions
du pin à crochets).
>
La liberté des échanges transfrontaliers, assurée
par les lies et passeries, était grande, surtout avant le XIXe siècle. Cependant
les franchises commerciales traditionnelles étaient parfois suspendues et
certains produits étaient frappés de droits de douanes élevés. D'autre part
les autorités, féodales ou royales, ont jugé nécessaire
à certaines époques de contrôler les déplacements
de leurs sujets ou de percevoir des impôts sur les marchandises transportées
à travers la frontière.
Des douaniers vérifiaient donc le contenu des ballots,
en particulier aux abords des hospices : c'était le cas à l'hospice de Rioumajou
(comme le voit de Chausenque en 1836 ; voir une photo ci-dessus),
et à l'hôpital de Gistain. Les guerres ou les blocus ont donné un coup
de fouet à la contrebande, notamment au XIXe siècle (époque
napoléonienne et première guerre carliste dans les années
1830).
Les passeurs étaient principalement des bergers,
jeunes, bons marcheurs, endurants, capables de porter de lourdes charges toute
une nuit, ayant une parfaite connaissance de la montagne et des passages,
et habiles à tromper la vigilance des douaniers (dont les rencontres pouvaient
donner lieu à des combats mortels). Parfois la misère poussait
même des femmes ou des vieillards à se livrer à la petite
contrebande.
Il faut en effet distinguer une petite contrebande,
portant sur des articles courants (sucre, tabac, sel, etc..) et en petite
quantité, et une grande contrebande portant sur des produits de grand
commerce (chevaux, mulets, fer, draps, laine, piastres espagnoles, armes),
exigeant alors une excellente et vaste organisation hiérarchisée.
Le transport des marchandises se faisait à dos d'homme
ou à dos de bêtes. Les passeurs exerçaient leur activité principalement
la nuit, et ce par tous les temps et en toutes saisons (photo ci-contre).
Les contrebandiers formaient dans les villages des groupes
solidaires et égalitaires, sous l'autorité d'un responsable qui entrait en
contact avec les commanditaires. Ces bandes jouissaient d'un certain prestige
aux yeux des habitants.
En effet la contrebande était considérée par eux comme
une activité légitime, en accord avec l'esprit des lies et passeries
(et des" fueros" aragonais), selon lesquels les échanges
entre les deux versants des Pyrénées devaient rester libres.
Elle était même considérée comme honorable
et les contrebandiers, dont on admirait les qualités physiques (agilité,
force, endurance) et morales (ruse, courage), pouvaient compter sur la sympathie
et la connivence de la population, jalouse de son autonomie par rapport
au pouvoir central. Y compris sur celles du clergé, comme le donne à penser
ce passage d'un article de Madeleine Cabidoche (" Les gorges de Saint-Engrâce,
lieux de passage ", dans la revue Pyrénées, n° 233, janvier 2008,
p. 49) : " Au XIXe siècle, âge d'or de la contrebande , les femmes
avaient coutume d'étaler des draps blancs, comme pour les sécher, sur les
prairies de ferme en ferme, dés que les douaniers partaient en tournée. Leurs
maris contrebandiers, ainsi prévenus, avaient le temps de se cacher. Le champion
toutes catégories reste l'abbé Haritxabalet qui a fait passer dans un cercueil
une outre de rhum à la place d'une vieille soi-disant morte. Le cercueil,
précédé des enfants de chœur portant croix, cierge et clochette, passa tranquillement
devant les douaniers agenouillés en signe de respect. ". (retour
au texte section 1, section
2)
VOIR AUSSI les pages sur la
Bolsa de Bielsa, et sur évadés
de France
5. Vincent
de Chausenque (cliquer
ici pour ouvrir une page du site Pyrénées passion
qui lui est consacrée), fait, dans "Les Pyrénées ou Voyages
pédestres dans toutes les parties de ces montagnes" (éditions
Monhélios, tome 1, chapitre XX, page 519) le récit d'une excursion
au port de Plan par l'hospice de Rioumajou pendant l'été 1836,
récit qui donne une vivante idée de la fréquentation
du port de Plan et mérite d'être longuement cité :
"Depuis l'insurrection des provinces basques, des motifs
de surveillance contre une contrebande qui n'est jamais bien active par les
ports trop âpres du centre de la chaîne, ont fait fixer au mercredi,
le seul jour où il soit permis aux Espagnols de passer le port pour
aller le lendemain au marché d'Arreau. Par un hasard heureux, je m'y
trouvai un tel jour [à l'hospice de Rioumajou]. Vers six heures
je commençai à voir déboucher du bois qui est au fond
du bassin, des hommes et des femmes portant des balles
de laine ou de peaux fraîches, des ânes et des mulets chargés.
A mesure que chacun arrivait, jetant sa balle à terre, il attendait
que le douanier eût fait son inspection. Puis la charge était
reprise et tous continuant leur route disparaissaient en aval. Parties des
premiers villages de la vallée de Gistaou [Gistain], je fus
surpris de voir des femmes, de jeunes filles même,
faire une aussi forte course de 12 à 13 heures en portant des fardeaux
et par les rudes chemins d'un port aussi élevé, car il me restait
encore pour l'atteindre une montée directe de trois heures."
Au cours de cette montée "Sur une
haute croupe semée de pins au-dessus du premier bois [celle d'où
on domine l'hospice] était un tableau mouvant du plus joli effet
: une foule d'Espagnols, avec leurs charges et
leurs bêtes, descendaient à la file le long de cent zigzags que
jamais cheval de la plaine n'eût pu aborder.
Une femme y portait un isard que son mari avait tué
la veille, et pour 3 ou 4 francs faisait ainsi plus de 25 lieues, tant
pour les pauvres peuplades des montagnes l'argent est rare et le temps peu
précieux."
Au port de Plan "[...] nous nous trouvâmes
enfin sur la plus haute esplanade d'où
le vent et le soleil avaient tout balayé, d'où la vue s'ouvrit
immense. Là m'asseyant essoufflé, sur une de ces pierres [les
barres de quartzite]où
les passants posent leurs balles et qui dans les brouillards servent à
les guider , je restai ébloui du magnifique spectacle
de toutes parts ouvert : la profonde vallée de la Cinqueta sous
mes pieds, les montagnes espagnoles [Suelsa] en face, les masses noires
et blanches de Clarabide [Bachimale, Posets] à ma gauche, et
les superbes Trois Soeurs (Mont-Perdu), reflétant à l'ouest
la plus éclatante lumière."
[...]
Ramenée dans son pays par un faux espoir de tranquillité, une
femme agée, tombée de lassitude sur une pierre et sans
rien voir autour d'elle, les yeux tournés vers l'Espagne, se mit à
dire : Por gracia de Dios vuelvo a ver la tierra de España,
et une larme coulait sur sa joue amaigrie".
VOIR AUSSI dans la revue Respyr (octobre/novembre/décembre 2020) l'article, signé Renaud de Bellefon Vincent de Chausenque, voyagzeur en montagne Pyrénées, pp. 46-49
100
ans après, Andrée Martignon fait
le récit émouvant d'une traversée pittoresque entre Tramezaygues
et Gistaïn (paru dans le livre Les Pyrénées
centrales, éditions ALPINA, Paris, 1946 ;les photos ci-dessous sont
exraites de ce livre, légèrement recadrées) :
"Pour le voyageur à pied, peu de courses sont
aussi agréables que de passer de la vallée d'Aure à Luchon
par Gistaïn et Vénasque. Je fis cette excursion en 1936, quelques
semaines avant que la guerre civile espagnole ne vînt bouleverser ces
contrées tranquilles. En descendant de l'autobus, à Tramezaygues,
j'avais rencontré une jeune fille de Gistaïn,
la belle Maria, qui, en compgnie de son père, un Aragonais sec et olivâtre,
ralliait son village pour s'y marier.
Son trousseau amassé jour à jour avec ses économies de
servante, à Arreau, les précédait, sur un char
à boeufs, dans la vallée de Rioumajou.. Charme de ces rencontres
fortuites dans la montagne, qui ne nous laissent que le regret de franches
minutes trop brèves ! Mon imgination, peuplée de souvenirs des
bandits aragonais, célèbres dans les mélodrames, me représentait
des âmes aussi farouches que les précipices de ces régions.
Malgré les confidences, pendant la longue montée à l'Hospice,
les songes de ma nuit s'animaient, dans cette fonda déjà sinistre,
de poursuites frénétiques, à travers gorges et névés,
et de faces patibulaires armées de tromblons. Le lendemain matin, à
l'aube, le fiancé et son frère, arrivés
de Gistaïn dans la nuit, arrimaient sur leurs épaules,
dans des sacs qui leur tombaient jusqu'aux talons, draps de lit et chemisettes
du trouseau, et nous montâmes avec allégresse vers le Port de
Plan. Longs névés, lourdes pierrailles, prairies fleuries de
gentianes et arnicas. La fiancée chantait, le père songeait,
les garçons suaient. Au col, le Batoua crache sur nous un petir orage..Deux
paraplies bleus, larges comme des auvents de foire, nous abritent un instant.
Et nous dévalons lentement, dans un paysage dont la désolation,
bientôt adouci par les pâturages, s'attendrit, à nos coeurs
charmés, d'une teinte d'idylle amoureuse. Tantôt la fiancée
suit le trousseau. tantôt le trousseau suit la fiancée? A l'hospice
espagnol, la mère, la soeur et deux bourricots nous attendent. La nuit
est close depuis longtemps lorsque l'auberge de Gistaïn
m'ouvre ses portes
. Et jusqu'à une heure avancée du matin, fiancée et fiancé,
frère, soeur, institutrice, cousins et amis dansèrent pour leur
plaisir et aussi pour mon honneur, des
jotas mélancoliques au son de la guitare et des castagnettes. Que
sont-ils devenus, un mois après, dans la folie civile, tous ces braves
gens, avec leurs anciens costumes colorés, leurs abarques, leurs foulards
rouges noués autour de cheveux noirs, leurs culottes courtes, et leur
hospitalité exquise ?
(retour
au texte)
A gauche : Tramezaygues
; au milieu : un aragonais ; à droite : le village de
Gistaïn.
6.
La réalité de cette
traversée pyrénéenne par Robinson
Crusoé et ses compagnons de route dans la roman de Daniel
Defoe, en novembre et décembre 1687 (plus d'un an aprés son
retour de l'ile), a été établie par le trés érudit
abbé gascon Léopold Médan. Dans une sérieuse
étude (parue dans la Revue de Gascogne en 1910, sous
le titre "Une traversée des Pyrénées centrales
à la fin du XVIIe siècle. Robinson en Gascogne", pp.
385-419), modèle de critique et de déduction, il a localisé
un à un les points de l'itinéraire de Robinson en Espagne
à partir de Pampelune (où il doit renoncer à passer par
le col de Roncevaux trés fortement enneigé : c'était
dans le "petit âge glaciaire"), puis dans la vallée
d'Aure (où le groupe de voyageurs affronte des ours, dont un "gigantesque",
et une multitude de loups affamés, notammant dans le défilé
de Rebouc), ce qui lui a permis d'affirmer qu'il avait facilement franchi
la crête faîtière au port de Plan,
moins enneigé.
Daniel Defoe, grand voyageur, avait, vers 1690
(son roman paraît en 1719),
parcouru sûrement le même itinéraire et avait donc une
connaissance trés précise des lieux : il a seulement "dramatisé"
la traversée dans son roman (voir ci-dessus, dans la section 4,
la carte de l'ensemble des Pyrénées où figure en tirets
verts l'itinéraire suivi par Robinson Crusoé entre la région
de Pampelune et Toulouse).
(On peut :
- lire les pages de Robinson Crusoé contenant
cet épisode sur Wikisource
en cliquant
ici [chapitre 56, puis chapitres
57 et 58] ;
- consulter dans le
blog
de "La
Dormeuse", la page consacrée à la traversée
des Pyrénées par Robinson Crusoé [larges citations du
livre Robinson
Crusoé],
et dans le site
auquel ce blog est associé, la page consacrée au livre ) ;
- lire dans le livre de Jacques Brau, Pays
des Nestes et de Comminges, éditions
Monhélios, 2014, les pages
266 à 269 (section : Un personnage insolite en vallée d'Aure),
parfait résumé des rapports entre Robinson Crusoé et
la vallée d'Aure et le port de Plan..
Le Comité Régional de la Randonnée
Pédestre mettait au point, fin 2007, un Sentier de Grande Randonnée
franco-espagnol ayant pour thème : "La route Aramip, sur les
traces de Robinson Crusoé" (Aramip
étant l'association Aragon-Midi-Pyrénées). Une randonnée
de Toulouse à Saragosse était prévue en juillet-août
2008, devant passer par le GR 86, Luchon, le GR 10, la vallée d'Aure,
le port d'Urdiceto (plus connu maintenant que le port de Plan), puis, côté
espagnol, par Gistain (par
le Paso del Caballos et la vallée de Christau),
ou Bielsa (par la piste), puis Ainsa, Barbastro, Sariñena, Castejon
de Monegros.
(voir les sites : www.pyrenees-pireneus.com
, et http://toulouse.saragosse.free.fr
). (retour à la carte,
au texte)
7.
Les mines
de cobalt sont trés rares en Europe. Il n'en existait pas
en France à cette époque, et il n'en existe actuellement que
4 ou 5 en Espagne. On y a extrait aussi du nickel.
Les
hollandais ont commencé à fabriquer de la faïence localement,
en particulier à Delft (photo ci-dessous), au XVIIe siècle.
A cette époque, qui a été son "âge d'or"
(notamment, sur le plan artistique, avec Rembrandt et Vermeer) la Hollande,
prospère, ayant investi dans la navigation et le commerce maritime,
régnait sur les échanges mondiaux, notamment avec la Chine.
Parmi les importations, la porcelaine chinoise à motifs bleus sur fond
blanc eut beaucoup de succès, ce qui incita des artisans hollandais
à fabriquer eux-mêmes cette poterie, consommatrice de cobalt
à la base du "bleu de Delft".
A noter en passant que l'enrichissement des Pays-bas était
lié (entre autres facteurs) aux considérables revenus de la
pêche au hareng, devenue possible parce que les bancs de poissons, autrefois
au large de la Norvège, où un climat doux situaient la limite
sud des glaces arcttiques, s'étaient rapprochés des côtes
de la Hollande en raison d'une extension vers le sud de ces glaces au cours
du "petit âge glaciaire". Celui-ci avait commencé vers
1300 et a régné jusqu'en 1850 environ (en témoigne par
exemple un tableau de Pieter Bruegel l'Ancien peint en 1565 où on voit
des chasseurs dans la neige et des personnages évoluant sur la glace).
Il a été responsable par ailleurs de la présence à
cette époque d'un glacier dans le versant est du pic Robiñera
(voir la page consacrée
aux anciens glaciers du cirque de Barrosa).
Sur le plan géologique ce gisement de San Juan
de Plan se situe dans du calcaire dévonien faisant partie d'une extension
vers l'est de la nappe (chevauchement) de Gavarnie, un peu au-dessus du grès
rouge du "socle".
C'est d'abord une compagnie française qui a exploité
ces mines en1650, puis une compagnie allemende au début du XVIIIe
siècle (ils ont d'ailleurs, par la même occasion, introduit
la pomme de terre dans la vallée de Gistain) . Ils l'ont abandonnée
en 1753, la croyant épuisée (voir ci-dessous la page d'un
livre).
L'irlandaisWilliam Bowles, chargé de dresser l'inventaire des ressources
minières dans les Pyrénées espagnoles, constata qu'il
restait en fait d'importantes quantité de minerai : la mine fut rouverte,
probablement par des anglais
(lire dans l'ouvrage de André Galicia, "Aragon, terre de
légendes", un chapitre
intitulé "Le paso del Inglès "où
il est question des mines de cobalt et de la mésaventure d'un anglais).
<
Une page du livre
Les anciens minéralogistes du royaume de France : avec des notes, par
Nicholas Gobet, 1779, où l'auteur parle de ces mines de cobalt.
En
1767, Malesherbes),
venu de France à dos de mulet par le port de Plan dans l'espoir de
la visiter cette mine de cobalt (il s'intéressait à la botanique
mais aussi à la géologie et à la minéralogie),
apprend
à San Juan de Plan, d'un forgeur français, qu'elle est abandonnée,
et renonce à y monter (Chrétien-Guillaume
de Lamoignon, 1721-1794 ; grand magistrat et administrateur, issu de la grande
noblesse de robe, président de la cour des Aides, mais faisant preuve
de liberté d'esprit, grand représentant des Lumières,
protecteur de l'Encyclopédie , défenseur des juifs et des protestants,
ami de J.-J. Rousseau, critique sévère
du despotisme et de l'arbitraire monarchiques, mais défenseur courageux
de Louis XVI et guillotiné sous la Terreur : un homme "aux vertus
antiques et aux opinions nouvelles" [Chateaubriand]),
Voir, dans le n° 163-164, 3-4 1990, pp. 147-281, de la revue Pyrénées,
l'intéressant récit par Malesherbes de son voyage en Aragon..
En 1784 un baron allemand remet la mine en exploitation
et construit à Saint-Mamet, prés de Luchon, une manufacture
pour y traiter le minerai transporté à dos de mulet par le port
de Plan, les cols d'Azet et de Peyresourde, pour fabriquer du bleu de cobalt.
C'est ainsi que, de passage à Luchon en 1787, le naturaliste Arthur
Young remarque la présence d'étranges caravanes de mulets menés
par d'étranges muletiers aux costumes bariolés..
La Révolution arrête tout, mais la mine connait
au XIXe siècle, à partir de 1830, un important
et fructueux renouveau d'activité dont est témoin Franz Schrader
lorsqu'il monte, le 9 août 1878, depuis San Juan de Plan, au pic d'Eristé
par le vallon et l'Ibon de Sein (ou Sen). Le 12 juillet 1870 Henry Russell
avait trouvé à la Casa del Sol à Plan, à la suite
de l'attaque de brigands subie dans le Cotiella, "une foule émue
de paysans français employés là aux mines", et
un "M. Cordurier, ingénieur de ces mines", qui lui
donna son chapeau à son arrivée nu-tête à Plan.
Il y a le "bleu de Delft", mais il y a eu
aussi le "bleu de Valentine". En effet, entre 1832 et 1864, une
manufacture, installée au pied de St-Gaudens, sur la rive gauche de
la Garonne, face à Valentine, a fabriqué des pièces de
porcelaine de grande qualité technique et artistique, pour le décor
desquelles était utilisé du bleu de cobalt qui provenait semble-t-il
de l'usine de St-Mamet, donc de la mine de San Juan.
Cliquer sur la photo ci-dessus (faïence de
Delft, dont la couleur bleue est à base de cobalt) pour ouvrir
un montage d'images associant à une carte des lieux 2 photos,
l'une montrant l'ancien chemin de la mine (qui part du pont des Pecadores
enjambant la gorge du rio Cinqueta en amont de San Juan), dallé en
beaucoup d'endroits, face au massif duCotiella, l'autre un pan de mur (bâtiment
et quai de déchargement ?) à quoi se résument les vestiges
facilement accessibles de la mine de cobalt, le lieu d'extraction lui-même
étant difficile à trouver).
A
noter que cet endroit, auquel on peut monter en voiture par une piste qui
part de San Juan, peut être le point de départ d'une excursion
à l'Ibon de Sen ou de l'ascension de l'un des sommets qui l'entourent,
par exemple le PicoBarbarisa. (retour
au texte, section1, section2)
8.
Le
général Juan Prim, héros
militaire romantique aux yeux du peuple, fervent progressiste, néammoins
monarchiste, anime dans les années 1860 l'opposition à la reine
Isabelle II. Allié au général Serrano il la destitue
en 1868 par un coup d'état militaire (révolution dite "La
Gloriosa"). Des Cortes constituantes élues au suffrage universel
votent une constitution établissant une monarchie parlementaire. Serrano
est promu régent et Prim chef du gouvernement. Prim sera assassiné
en 1870 par des républicains alors que l'Espagne vient de se trouver
un roi en la personne de Amédée de Savoie.
Auparavant, ayant,
dans l'opposition, fomenté plusieurs prononciamentos manqués,
il avait
dû quitter provisoirement l'Espagne, en
novembre 1867.
On raconte (selon un panneau d'information planté au départ
du chemin du port de Plan : photo ci-contre) que l'abbé Bruno
Fierro, curé de Saravillo, qui connaissait les chemins comme personne,
l'aida une nuit à s'échapper par le port de Plan. Au
retour du général en Espagne l'abbé Fierro lui rappella
qu'il lui devait en échange un service, à savoir gracier son
frère condamné à mort. Prim lui rédigea des lettres
de recommandation, mais l'abbé les déchira en disant : "Si
j'avais écrit des bouts de papier pour les carabiniers, tu ne serais
pas ici maintenant". Le général alors se leva, annula ce
qu'il avait prévu et accompagna le prêtre au Ministère
de la Justice, obtenant ainsi la grâce pour son frère.
(retour au texte)
Haut
de page
9.
Dans son site internet le mathématicien spécialiste
de mécanique, Henri
Cabannes (né en 1923 à Montpellier), de l'Académie des sciences,
un des 23000 évadés français (sur 30000 à 33000 tentatives) , fait
un très beau et très instructif récit de son évasion
par le port de Plan le
18 octobre 1943, pour,
ayant interrompu ses études, passer en Espagne puis,
via
le Maroc et l'Algérie,
rejoindre la Résistance et s'engager dans l'armée de l'air en
Angleterre : on peut lire cette "odyssée " en cliquant
ici pour ouvrir la page du site de Henri Cabannes où figure
ce récit.
(retour
au texte)
10. Ramond, qui s'est rendu au port de Plan en 1792, y voit (il le raconte dans les Carnets pyrénéens) "des bois coupés sur les pentes espagnoles [versant est, faibles] et dévalés sur les pentes [fortes]du port de Plan qui couvraient les rives du torrent", sans doute dans la gorge du ravin de Caouarère, au-dessous de la bifurcation des sentiers des ports de Plan et de Caouarère. Il y eut des transports semblables en Ariège, en particulier par le port de Salau, de bois provenant des forêts de Bonabé, dans la haute vallée de la Noguera Pallaresa, en aval de Mongarri. (retour au texte)
11. Cependant
la vallée d'Aure est plutôt moins humide
et moins enneigée que les autres vallées françaises
parce qu'elle est protégée des vents d'ouest par le chaînon
qui va du pic Long au pic du Midi en passant par le massif du Néouvielle
et l'Arbizon, et aussi parce que, orientée sud-nord, elle est ouverte
aux vents d'Espagne chauds et secs. Cette particularité retentit sur
la végétation (pins sylvestres plus nombreux, phénomène
de soulane accentué) et a favorisé la fréquentation du
port de Plan (ainsi dans le roman de Daniel Defoé, qui connaissait
les lieux, Robinson Crusoé, arrivé à Pampelune à
l'automne 1688, doit renoncer à franchir les Pyrénées
par le col de Roncevaux ou celui du Somport fortement ennéigés
et trouve de meilleures conditions au port de Plan [tireté vert
sur la carte des Pyrénées ci-dessus, section 1 ; voir la note
6]). (retour
au texte)
12.
Cette
relative autonomie allait de pair avec une organisation
politique des communautés de vallée de type démocratique.
Le titre de "voisin"
("vesi") était porté par les pères ou les
mères de famille du village, la
notion de voisinage étant intermédiaire entre celles
de parenté et d'affinité (note a).
Ce titre leur conférait
le droit d'élire les membres
(les "consuls", ou "cossous")
de l'assemblée qui exerçait l'autorité
suprême, et d'assister
à ses réunions.
Réunie sur convocation au chef-lieu,
cette assemblée gérait ce qui appartenait à la communauté
des "vesis" (communauté de village, ou communauté
de vallée, associant plusieurs villages), décidait en particulier
de la répartition des pacages, défendait ses intérêts
(réglant notamment ses rapports,
parfois tendus, avec les communautés voisines), faisait également
office de tribunal et prenait des décisions de police (Source :
Pyrénées, n° 241, janvier 2010, Jean-Louis Massourre, Les
hautes vallées pyrénéennes au prisme de la démographie).
Un détail rapporté par Louis de Froidour, chargé
par Colbert de répertorier les forêts de Pyrénées
(cité par l'historien Jean-François Soulet dans son livre La
vie dans les Pyrénées du XVIe au XVIIIe siècle, éditions
Cairn, 2006, p. 43) est révélateur de cette organisation
et de l'état d'esprit des habitants : dans la vallée de Campan,
quand les consuls voulaient arrêter un malfaiteur ou un criminel, ils
se contentaient de lui envoyer la clef de la prison afin qu'il s'y rendit
; si au troisième avertissement il n'avait pas obtempéré,
tous les habitants de la vallée se mettaient alors à sa recherche
et le contraignaient à quitter le pays sans espoir de retour.
L'indépendance,
ou l'autonomie, des vallées pyrénéennes est à
relativiser (comme le recommande Jean-françois Soulet) :
- de toutes façons elles
faisaient partie, sous l'Ancien Régime, des "pays d'états",
qui (par opposition avec les "pays d'élection" soumis directement
à la juridiction d'officiers royaux, les "élus"),
sont des provinces où les états provinciaux (assemblées
des représentants des trois ordres) conservaient le privilège
de consentir l'impôt et de le répartir à leur guise ;
- les Gaulois avaaient
déjà quasiment
mis en place un système
de démocratie directe : les peuples gaulois étaient divisés
en "pagi" (dont les dimensions étaient à peu
près celles d'un canton actuel) qui jouissaient d'une autarcie économique
et d'une certaine indépendance politique puisqu'ils disposaient d'une
véritable constitution, regroupant un ensemble de lois, et avaient
des assemblées regroupant en principe tous les habitants, élisant
pour un an un magistrat civil et un magistrat militaire (source : Jean-Louis
Brunaux, Une démocratie à la gauloise, dossier Pour la
Science, n° 61 Octobre-Décembre 2008, p. 50) ;
- plus loin dans l'espace a existé une société
comparable : celle créée par des Vikings venus en
l'an 830 de Norvège et des îles britanniques
s'établir en Islande alors vide de tout habitant pour y former
une unité de population qui,
forte de 60 à 70000 habitants, restera
libre et indépendante jusque vers 1200 (source
: Jesse Byock, L'Islande des Vikings, préface de Jacques Le Goff, édition
Aubier/Collection historique).
Cette
société médiévale, dont l'histoire est
connue par les "sagas", d'abord orales puis écrites aux XIIe et XIIe
siécles, se singularise par les traits originaux suivants :
.
civilisation agro-pastorale
; propriété
privée ; fédération de fermes
isolées, sans villes ni villages ;
. création d'institutions de type
démocratique : pas d'Etat ni d'organe exécutif ou coercitif (pas d'armée,
ni de police, ni de tribunaux), mais des assemblées locales annuelles et une
assemblée générale (l' " Althing "), élues, qui traitent les litiges entre
fermiers et éventuellement modifient les lois ; attachement passionné de la
population au droit (rappelé dans les assemblées par un " récitateur-de-la-loi
", élu) et état d'esprit la portant à la recherche de consensus
ou de compromis pour apaiser les conflits ;
. refus en principe de la
hiérarchie entre individus, mais inégalités de fait, qui rapprochent le régime
politique de l'oligarchie : des fermiers (les " godars "), capables par leurs
talents de jouer les médiateurs pour défendre d'autres fermiers contre rétribution,
forment un élite riche et influente.
note a. Côté français le terme "vesiau" (prononcé bésiau ; il s'écrit aussi "véziau " ; exemple : la "montagne de 4 véziaux", voir note 13), du latin vicinus (voisin), désignait aussi, au centre de la chaîne, une communauté villageoise (ou "Paroisse") et plus généralement l'association de "vesi", de "voisins, qui avaient des intérêts communs (on l'utilise aussi pour désigner la commuauté de plusieurs villages, le "Vic" [qu'on retrouve dans Vicdessos, Vic-Bigorre] , et celle de l'ensemble des Vics d'une vallée, appelé la "Vallée", le "Pays", voire parfois la "République"). (retour au texte)
13.
En 1475, Louis XI, rattachant à la couronne les "Quatre
vallées" (ou les quatre "véziaux" : Magnoac,
Barrousse, Nestes et Aure ; à ne pas cofondre avec les "quatre
véziaux" de la vallée d'Aure, Cadéac, Ancizan, Guchen
et Grézian, propriétaires de la vaste étendue de pâturages
en amont de Payolle en vallée de Campan dite "montagne des quatre
véziaux"), confirme les anciens privilèges
des habitants de la vallée d'Aure (parmi lesquels la possibilité
justement de passer des accords avec les voisins du versant sud), qui acceptent
ainsi de devenir sujets du roi, mais en restant autonomes, à charge
pour eux de veiller à l'intégrité de la frontière
contre les convoitises étrangères et d'entretenir une garnison
au château de Tramezaïgues. En 1495 Charles VIII approuve également
ces ententes.
C'est la Révolution qui, paradoxalement, abolira
ces franchises et coutumes. (retour
au texte)
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de page
14. L'étymologie du mot lie est en effet la même que celle des mots lien ou alliance, c'est-à-dire les mots latin ligare (lier) et occitan ligas , et celle du mot passerie, patzeria en espagnol, la même que celle des mots paix ou pacte, c'est-à-dire le mot latin pax. Cependant d'autres origines sont possibles pour le mot passerie : le verbe passer (il signifierait alors droit de passage), ou l'espagnol pacerias, venant du verbe paître, ou encore le mot espagnol facerias (pâturages en bordure du territoire). (retour au texte)
15.
Dans
une monographie d'Aragnouet rédigée en 1887 son auteur
(Bertrand Ousten, instituteur à Fabian) écrit : "Sous
Louis XIV, par un jugement en acte du 23 juillet 1668 le Grand Roi s'empare
des dites montagnes mais les consuls et habitants d'Aragnouet font opposition
au jugement rendu et Sèvre et Dufaudour, conseillers du roi, délégués
l'un à la généralité de Montauban et l'autre au
département de la grande maîtrise de Toulouse réforment
le dernier jugement et maintiennent à la commune d'Aragnouet la propriété
et la jouissance de toutes leurs montagnes, à condition de payer au
trésorier du roi ou à son fermier 50 sols et de tenir en bon
état les chemins qui vont de France en Espagne, le long du terroir
du dit Aragnouet et il est défendu au procureur
du roi de troubler les habitants dans la jouissance de leurs montagnes"
(Source : site de l'Amicale des Bigourdans de Paris, www.bigourdans.com
). (retour
au texte)
16.
Emile Belloc (voir la page consacrée à F. Schrader
et aux pionniers du pyrénéisme) décrit ainsi (dans son
livre "De la vallée d'Aure à Gavarnie par le nord de
l'Espagne", p. 29) l'ancien costume aragonais
de son porteur, qui demeurait à Javierre, au-dessus de Bielsa :
"[...] une culotte courte en velours bleu, descendant
jusqu'au genou, fendue sur le côté à la partie inférieure,
et garnie de boutons de métal. Des bas de grosse laine dessinaient
les mollets. Une large ceinture, la faga, entourait plusieurs fois
les reins et l'abdomen. Par dessus la chemise, était placée
une sorte de camisole en toile blanche assez grossière, ouverte sur
le devant et ornée de broderies de diverses couleurs. Et pour recouvrir
le tout, un gilet, on bien une veste en drap sombre très courte à
col droit et à grand revers. L'avarca [ou abarca, morceau de cuir
attaché par de longues lanières de cuir] ou l'alpargata
[espadrille] de Barbastro servait de chaussure à ses larges pieds." (retour
au texte)
17.
Même si chaque vallée tenait à affirmer sa personnalité
par des variantes culturelles.
Au sujet de l'habitant des Pyrénées
espagnoles, le comte Aymard d'Arlot de Saint-Saud (1853-1951),
qui , dans les années 1880, les a parcourues en tous sens pour en établir
la carte, écrit ceci dans le livre "Contribution à la
carte des Pyrénées espagnoles", 1892 :
"Esprit ouvert,
vif, intelligent, plus instruit qu'on ne croirait, sachant d'instinct lire
une carte, il saisissait rapidement ce que je demandais de lui, et ses réponses
empreintes de beaucoup de bon sens m'ont souvent donné sur les montagnes
des aperçus que je n'aurais pas eus. Tout d'abord, surpris de l'intérêt
que j'apportais à la nomenclature des noms de lieux, cols et sommets,
à la direction des torrents, etc., il comprenait bien vite que mon
travail ne serait pas sans quelque utilité pour les ingénieurs
[...] qui s'occupent de tracés de chemins de fer, de recherches
géologiques et autres études [...].
Bonté, amabilité, générosité,
franchise, honnêteté, fierté native se décelant
dans le regard et la démarche, acceptation résignée des
choses et des faits accomplis, grande ardeur au travail, tels sont les principaux
traits du caractère des habitants de ce coin d'Espagne, auxquels il
faut ajouter une certaine rudesse extérieure, un peu de susceptibilité
et beaucoup de loquacité. Le montagnard catalan passe pour moins entêté
que l'aragonais, dont la tête, à en croire le dicton, enfonce
les clous, mais il a moins de souplesse, moins de franchise peut-être.
On voit donc quel contraste frappant existe entre les habitants
d'au-delà et d'un-deçà des Pyrénées. La
comparaison n'est point, hélas ! en faveur de notre montagnard, moins
vif de corps et d'esprit. L'un subit les rigueur d'un climat rigoureux et
glacé, l'autre est réchauffé par les ardeurs d'un soleil
africain. Chez le premier, des pluies fréquentes et des neiges abondantes
contribuent à la fertilité des prairies ; le second, moins privilégié--
le massif des hautes cimes étant au midi relativement étroit,--
privé de routes et de canaux, doit lutter en plus contre l'aridité
d'un sol plein de rochers brûlants et desséché par les
vents. Il est en outre accablé d'impôts.. Mais avec une philosophie
qui tient du fatalisme (bien que ses vallées n'aient jamais été
occupées à demeure par les Arabes), il se console en répétant
: "Ainsi ont été nos pères, ainsi devons-nous être,
ainsi serons nos enfants !" Religieux sans ostentation ni superstition,
il supporte patiemment sa vie pénible [...].
L'hospitalité esr restée, davantage que chez nous,
dans les moeurs espagnoles ; les touristes, surtout étrangers qui s'égareraient
dans quelque vallée reculée de nos Pyrénées pourrait
constater la différence. En
Espagne j'ai toujours été profondément touché
de l'accueil qui m'a partout été fait; à de rares exception
près.
[...] Au premier abord on est reçu froidement par
le paysan ; mais sitôt qu'il sait à qui il a affaire, et surtout
si vous avez une recommandation [...], vous êtesconsidéré
comme un ami de la famille. Joignez à cela une grande discrétion,
car on ne vous encourage pas ; à vous d'expliquer si bon vous semble
le motif de votre passage ; puis pendant votre séjour c'est une courtoise
déférence qui n'a cependant rien d'obséquieux.
<
Monument aux fueros du Sobrarbe, Plaza
del Castillo, à Aïnsa : inscription
"Sobrarbe a sus fueros", au-dessus de l'emblème du Sobrarbe,
le chêne (dans un disque, devant une croix [note a]).
[...] Braves Espagnols des Pyrénées, vous êtes les descendants
de ces ricos-hombres qui
disaient à leurs rois d'Aragon le jour de leur couronnement : "Nous
qui seuls valons autant que toi et, réunis, plus que toi, nous te faisons
notre roi, pour que tu conserves nos traditions et nos libertés ; sinon,
non !" [photo ci-contre].
N'oubliez pas ces fières paroles (note b),
elles seules dénotent qui vous êtes, et ce que vous devez continuer
à être ; je ne suis donc plus étonné de trouver
chez vous tant de qualités réunies. Moi, infanzon du
midi de la France, je suis heureux de les proclamer, je suis fier d'avoir
parcouru vos belles montagnes où le soleil brasille d'une ardeur incomparable,
d'avoir pris part à vos danses, à vos fêtes, d'avoir chanté
ces gais couplets de jotas aragonesas que vous saviez si bien improviser
en mon honneur ; je suis fier d'avoir contribué à faire connaître
votre pays. Mon plus cher désir est que l'on vous estime, l'on vous
aime, l'on vous admire, comme j'ai appris à le faire en vivant, à
diverses reprises, sept mois de votre vie si calme et si profondément
honnête ! Je remercie Dieu de me l'avoir permis".
note
a.
Si on admet que le disque figure le soleil, il pourrait s'agir du
symbole (double) de la " croix solaire ", que Henri Lefebvre, notamment, reconnait
sur les tombes basques (dans son livre " Pyrénées ", éditions Cairn,
2000), et qu'on trouve surtout dans l'ouest des Pyrénées. Traditionnellement
on l'interprète comme signifiant la victoire du christianisme sur le culte
païen du soleil. Pour Henri Lefebvre, qui parle, en inversant les termes,
de " soleil crucifié ", il aurait aussi une signification plus ancienne et
plus profonde : il traduirait, chez l'homme, la tension entre d'une part la
vitalité, la spontanéité, la démesure, l'ardeur, la générosité,
de la nature, figurée par le soleil et parfois aussi par la
lune et les étoiles, et d'autre part la rationalité, donc la contrainte,
la limitation, la mesure, le calcul, la nécessité de faire des choix, qu'implique
la culture, figurée par la croix (qui n'aurait pas alors sa
signification religieuse, mais celle d'interdit ou de bifurcation).
note b. En fait ce prétendu serment serait une invention d'un jurisconsulte français du XVIe siècle, aussitôt reprise par un chroniqueur aragonais. D'autre part ces "libertés" par rapport au pouvoir royal n'autorisent pas à parler d'ébauche de démocratie dans le royaume d'Aragon, étant donnée la puissance des seigneurs et du clergé , liée à leur richesse foncière (Joseph Pérez, Histoire de l'Espagne, Fayard, 1996, p. 102). (retour au texte)
18. Peu avant, en 1375, une junta (assemblée) avait réuni au col de la Pierre-Saint-Martin les édiles du Roncal, en Navarre, et du Barétous, en Béarn, pour mettre fin à un conflit sanglant. Ce traité (dit " Junte de Roncal", ou "tribut des trois vaches", dû par les français aux espagnols) est encore renouvelé tous les ans, le 13 juillet, au col de la Pierre-Saint-Martin, au cours d'une cérémonie qui attire beaucoup d'habitants de ces vallées. (retour au texte)
19.
Notamment des raisins, comme en témoigne Arlot de Saint-Saud.
Le 10 octobre 1879, dans la longue (quatre heures), difficile et fastidieuse
descente du pic d'Aret, lui et ses compagnons (dont le guide Henri Passet)
se reposent à une fontaine. "Après quelques instants,
raconte-t-il (dans un article du Bulletin de la Société Ramond,
2e trimestre de l'année 1880, pp.79-88, "Le pic d'Arré,de
Castets à Bielsa et à Gavarnie"), nous repartions
avec entrain sur de douces pentes herbeuses, cueillant des noisettes tout
le long du chemin, et rencontrions par un surcroît
de bonheur, juste au moment où nous tombions sur le chemin de l'Hospice
[de Rioumajou] un Espagnol et sa mule.
Or, cette mule portait des paniers contenant des raisins gros et délicieux
comme ceux de la terre promise, en acheter fut l'affaire d'un
instant ; puis, après les avoir lavés et rafraîchis au
filet d'une source, nous dîmes que le raisin était le meilleur
des fruits : ce que nous ne pûmes absorber fut soigneusement plié
dans un mouchoir et fit nos délices pendant la course du lendemain.
[...] Nous franchîmes d'un pas accéléré
les sept ou huit kilomètres qui nous séparaient de l'Hospice
de Riou-Mayou."
Il est probable que l'espagnol, avec sa mule, avait passé
le port de Plan, venant de la vallée de Chistau, pour aller vendre
ses raisins aux habitants de la vallée d'Aure. (retour
au texte)
20.
Il
existe dans les Alpes un chemin "historique", qu'on peut rapprocher
de la partie pyrénéenne de la Ténarèse, le
"chemin de la Vanoise" (photo ci-contre), reliant Moûtiers,
dans la Tarentaise, à Turin, dans le Piémont. Il passait par
Pralognan, le col de la Vanoise, Termignon dans la Haute-Maurienne, et le
col du Mont Cenis.
Pendant plusieurs siècles, quand n'existaient ni routes
ni voies ferrées, il a vu défiler, à pied ou à
dos de mulet, toutes sortes de personnes : colporteurs, contrebandiers, bergers
en transit avec leurs troupeaux, prêtres réfractaires sous la
Révolution, troupes alpines. Transitaient par ce chemin diverses marchandises
: riz, soie en provenance de Venise, draps et tissus de laine de Flandres,
épices venues d'Orient. Mais aussi, à dos de mulets, une partie
du minerai de plomb argentifère (comme le chemin des mines du
cirque de Barrosa) tiré des mines de Peisey-Nancroix, dans la Tarentaise,
entre le XVIIe siècle et leur fermeture en 1866, et surtout du sel
provenant de la saline de Moûtiers (Salins-les-thermes), fermée
à la même date. Les fromages ont pris le relais, d'où
l'autre nom du chemin : "Route du sel et du Beaufort".
Cet itinéraire fait aujourd'hui l'objet d'une mise
en valeur.
(Sources :
- revue La montagne et alpinisme, n°
240, juin, juillet, août 2010," Le chemin de la Vanoise Un
tracé historique", article réalisé grâce
à l'aide de Geneviève Ruffier-Lanche)
- livre "La traversée des Alpes.
Essai d'histoire marchée", Antoine de Baecque, éditions
Gallimard, 2014, p.158-162).(retour
au texte)
21. Dans son livre, Pyrénées, Ascensions et voyages, Carnets 1958-2008, éditions Espaces d'altitude et Librairie des Pyrénées, 2010, p. 66, Claude Dendaletche évoque une autre voie romaine (une "Calzada romana") transpyrénéenne qui franchit la crête frontière au Puerto d'o Palo (Col de Pau) à 1942 m. Elle "permettait de passer du Pays des Gaules vers Cesaraugusta (Zaragoza) et [...] fut empruntée par les pélerins de Compostelle jusqu'au XIe siècle, période à partir de laquelle le passage par le Somport [un peu plus à l'est] prédomina". " Je songe aux légions qui passèrent là-haut et dont quelques dalles du chemin doivent encore porter les traces " ajoute Claude Dendaletche. Du col elle descendait, côté espagnol, sur Guarrinza, grande clairière où confluent les eaux du Barranco de Acherito, du Barranco d'as Fova et du rio Aragon Subordan, et où se situe un Refugio de la Mina et des vestiges mégalithiques. En aval, dans la vallée du rio Aragon Subordan, elle passait au Monastère de Siresa et à Hecho. (retour au texte)
22. Une pièce de monnaie (un as de Tibère, frappé à Calagurris, ville du cours moyen de la vallée de l'Ebre) a été fortuitement découverte au Port Vieux (2378 m.). (retour au texte)
23. L'historien Christian Rico, dans son livre "Pyrénées romaines, essai sur un pays de frontière", édition Casa de Velasquez, 1997, p. 232, note 11, va jusqu'à émettre l'idée que les aménagements du chemin constatés aux abords du port de Plan ne sont pas anciens et qu' "on peut les lier plus sûrement à l'exploitation des mines de cobalt de Gistain dont le minerai était, à la fin du XVIIIe siècle, évacué à dos de mulets vers la France" (voir note 7). (retour au texte)
24. Notamment en juillet 1812, où les habitants de Bielsa allaient être attaqués par une bande de hors-la-loi. L'alcade de Bielsa fit appel aux habitants du Plan qui, armés et porteurs de tambours et trompettes se rendirent aussitôt en aval de Bielsa où, postés avec des habitants du village à deux vieux ponts, ils mirent en fuite au petit matin les bandits venus de Ainsa. Lorsqu'il y avait pénurie et famine dans le val d'Aragnouet, les habitants rejoignaient Bielsa pour subsister, ou bien les espagnols leur fournissaient du pain fabriqué avec le seigle cultivé sur leurs panares (terrasses de culture) (voir le livre de Jean-Bernard Vidal, Si Aragnouet m'était conté, P. 94). (retour au texte)
25. Le
13 août 1923 Alphonse Meillon rencontre un berger aragonais dans
la vallée du rio Ara où il travaille à l'établissement
de sa carte du Vignemale. Il a avec lui une intéressante et instructive
conversation (il aurait pu en avoir une analogue avec un berger de la vallée
d'Aure), d'abord sur la toponymie de la région. puis sur les rapports
entre les populations des deux versants des Pyrénées. Il la
raconte ainsi (dans le livre "Excursions autour du Vignemale",
éditions MonHélios, 2010, pages 274 à 281) :
" Et ce bon aragonais, qui est souvent venu à
Pau et à Tarbes où il a travaillé comme terrassier, se
met à me fournir des explications, dans le plus pur béarnais,
très ressemblant, dit-il, au patois aragonais.
Les noms de cette région de montagne ne sont pas
toujours du plus pur castillan ; j'ai constaté, en effet, que certains
termes de la nomenclature de ces montagnes ont une forme béarnaise,
légèrement aragonisée, si l'on peut s'exprimer
ainsi.
Dans les vallées de Broto,de Torla, de Biescas et
de Panticosa, on parle bien un peu de castillan, mais surtout l'aragonais.
En cette région frontière, sur les deux versants,
on saisit les traces que laisse la pénétration réciproque
des peuples voisins. J'ajoute même qu'ici, un lien naturel et solide
que rien n'a pu rompre, ni les traités, ni les frontières devenues
remparts, unit ces populations montagnardes, issues de générations
de peuples pasteurs de même origine. Il y a ici quelque chose d'analogue
à ce qui s'est produit en Pays basque, où la langue basque est
la langus nationale, tandis que la langue française fait figure d'étrangère,
au même titre que la langue espagnole.
Avec notre berger nous traduisons et essayons d'appliquer les dénominations
géographiques ou noms génériques communément admis,
aux formes, à la nature ou à la situetion des lieux. [...]
Monté depuis plusieurs jours de Broto il se plaint amèrement
d'avoir trouvé dans dans son pâturage des troupeaux français
qui, ayant précédé le sien, y avaient tondu sévèrement
les herbages.
C'est là un reproche qui, de tout temps, a provoqué
bien des discordes, des luttes, des combats inévitables. Les causes
de tels conflits étaient
nombreuses. Parfois ce
sont des pâturages qui manquent d'eau pour abreuver les troupeaux, tandis
que sur les versants voisins les sources pures abondent. Ici il y a de bons
herbages ; un peu plus loin ils sont mauvais. Dans les premiers, l'herbe est
bien exposée, drue, grasse et nourrissante ; dans les mauvais, elle
est desséchée, brulée et envahie de plantes incomestibles
pour le bétail.
Les époques jouent aussi un rôle ; certains
pâturages exposés au Midi sont de bonne heure débarassés
de la neige. On les recherche d'abord. On se disputera également, plus
tard, les versants nord, qui conservent plus longtemps leur fraîcheur.
Les versants du côté espagnol sont déjà grillés
par le soleil, tandis que les versants français sont encore abondamment
pourvus et frais.
Toutes
ces causes provoquent des deux côtés de la chaîne, des
impatiences naturelles, que les bergers ne préméditent pas,
mais que le bétail leur impose par sa migration instinctive.
Si l'on recherche l'origine des traités de lies et
passeries (accords conclus entre vallées françaises et vallées
espagnoles) dont nous parlé avons plusieurs fois à propos de
la vallée d'Aussoue [Ossoue],
il faut
remonter fort avant dans l'histoire, jusqu'au temps où les Pyrénées
ne constituaient pas une limite politique. Alors le massif montagneux unissait
les hommes, bien plus qu'il ne les séparait. La Bigorre se trouvait
alors sous la dépendance de l'Aragon, et la Navarre chevauchant la
chaîne débordait vers le Béarn.
Unies sous la même domination ces vallées n'avaient
pas à subir les contre-coups économiques de deux politiques
différentes. On arrivait naturellement à conclure des accords
selon les nécessités locales et en tenant compte des facteurs
que nous venons d'énumérer qui conditionnent le travail des
pasteurs.
Il en résultait des règlements pour l'usage
des pâturages, des eaux, des bois, même sur l'occupation des cuyéus
ou cabanes, et aussi par rapport aux antiques hôpitaux ou refuges établis
tant en France qu'en Espagne, dans les hautes vallées les plus fréquentées
où l'on recevait les passants qui franchissaient les montagnes. Des
moines de l'ordre des Hospitaliers dirigeaient ces établissements et
offraient aux passagers, secours et abri. De telles conventions pastorales
furent ensuite absorbées dans les traités politiques internationaux.
Mais tous ces documents diplomatiques n'empêchèrent jamais les
moutons de passer d'un versant à l'autre, s'ils trouvent l'herbe mieux
à leur goût. Les moutons sont plus forts que les diplomates.
(retour au texte)
(SOURCES
:
- de
BELLEFON (Patrice), CLIN (Michel), BALCELLS ROCAMORA (Enrique), LE NAIL
(Jean-François) :
Tres serols - Mont-Perdu, Patrimoine
mondial de l'UNESCO.
- BRAU (Jacques) : Pays des Nestes et de Comminges des origines
à nos jours, éditions MonHélios, 2014.
- BRIVES
(Annie) : Pyrénées
sans frontière, éditions
Cairn, 2000.
- Collectif
(bi-lingue) : Rapports
historiques de la vallée de Bielsa avec la France, édité
par la mairie de Bielsa et le musée ethnologique municipal de Bielsa, 1997
(article : Lies
et passeries entre les vallées de Bielsa (Béousse), d'Aure et
de Barège au XVIe et XVIIe siècles, par
Célia FONTANA CALVO, pp. 11-36 et 121-145).
- sous
la direction d'André LEVY
: Dictionnaire des Pyrénées. Encyclopédie illustrée
France-Espagne, édition
Privat, 1999 (articles
: Lies et passeries,
par B. KAYSER et
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Ph. MARC, p. 486).
- RATIO
(Raymond) : Histoire
Franco-Espagnole et Rioumajou-Cinca, éditions Cairn, 2013.
- RICO
(Christian)
: Pyrénées romaines. Essai sur un pays de frontière (IIIe
siècle av. J.-C. - IVe siècle ap. J.-C.), Bibliothèque
de la Casa de Vélasquez, 1997.
- SERMET
(Jean) : communications
déposées aux
Archives départementales des Hautes-Pyrénées :
. La
froutière des vallées d'Aure et de Bielsa, (notamment
la 6e section : Les
lies et passeries et leur mise en pratique) ;
. Port du Plan ou de Rioumajou
(2527 m), croix 327.
- SOULET
(Jean-François)
:
. La vie dans les Pyrénées
du XVIe au XVIIe siècle, éditions
Cairn (collection
La vie au quotidien), 2006 ;
. Les Pyrénées
au XIXe siècle, éditions
Eché, 1987.
- VIDAL (Jean-Bernard) : Si Aragnouet m'était conté,
éditions
Cairn, 2011.)
Page mise à jour le 16 février 2021